Face à ce que représentent le FN/RN et sa candidate, l’attitude électorale pertinente consiste à les maintenir en-dehors de l’univers politique dans lequel ils jouent avec les outils de la politique, et dont ils ne font pas plus partie qu’un enfant jouant à l’adulte fait partie de l’univers adulte.
La décision de l’abstention au second tour (si la candidate FN/RN y parvient) au motif du refus du vote négatif est donc inappropriée et, au sens littéral, irresponsable.
Il ne s’agit pas non plus de voter contre le RN/FN, mais de signifier, en votant pour l’autre candidat, quel qu’il ou elle soit, qu’on reste dans le champ du politique.
Cette analyse ne peut être entendue que si l’on substitue au voter pour ou contre quelqu’un ou au voter pour ou contre quelque chose, un voter pour ou contre ce qui produit l’équation capitaliste structurante (être = avoir plus) réalisée depuis maintenant deux siècles dans les formes économiques, sociales, financières et industrielles que l’on sait.
En d’autres termes : du point de vue de la philosophie politique, que le candidat soit de « gauche gestionnaire réformiste » ou de « droite gestionnaire conservatrice », le cadre reste le même : les seules différences tiennent aux ajustements économiques et sociaux internes en relation avec le rapport privé/commun. Le Front Populaire (1936) et le programme du Conseil National de la Résistance (1944) sont là pour nous rappeler que ces différences peuvent être considérables pour la vie quotidienne.
Pour autant, le système continue à fonctionner avec sa logique propre et le processus de dysfonctionnement global s’accentue, quelle que soit la couleur des élus, comme nous le constatons aujourd’hui : courses aux profits par tous les moyens, aggravation des inégalités nationales et internationales, immigrations et crimes de désespérance, détérioration de l’environnement, mutation climatique, dépression planétaire, populisme (dans le sens infantilisme), replis identitaires, en particulier ce que j’appellerais le « malaise de maturité » (un sondage indique que le FN/RN serait le vote majoritaire des trentenaires) lié sans doute à une absence de perspective de développement économique « classique », notamment d’emplois pérennes.
C’est ce que signifiait « bonnet blanc et blanc bonnet » (formule reprise par Jacques Duclos – candidat du parti communiste arrivé juste derrière Alain Poher – centre droit – et Georges Pompidou – droite –, les deux candidats du second tour de la présidentielle de 1969) dans un temps où la révolution socialiste/communiste (assurée « aux couleurs de la France ») apparaissait comme un possible.
Aujourd’hui, ce possible ayant disparu et l’idée de la révolution dont je parle étant non encore assez émergée (quelques voix commencent à se faire entendre), le seul choix possible concerne la nuance du bonnet.
S’il est indispensable de déposer un bulletin dans l’urne, c’est que nous sommes « embarqués », et croire qu’on peut rester sur la rive pour voir passer le bateau de la société participe de la même irresponsabilité littérale : la vitesse du bateau et le pilote ont leur importance, même si l’on préfèrerait l’océan plutôt que l’impassibilité du fleuve. S’abstenir revient à ouvrir la porte du champ politique au FN/RN avec la fascination pour le « jusqu’où peut aller le jeu de l’apprenti sorcier ? » dont est connue la réponse.
De même, « on choisit au premier tour, on élimine au second » n’a pas plus de sens que les deux bonnets de 1969.
Faute de révolution proposée, il ne nous reste, pour le premier tour, que la gestion lucide, active, des affects, ne serait-ce que dans notre discours aux autres.
Pour le second, si la nuance du bonnet n’est plus l’enjeu du vote, la sauvegarde du politique.