Philosophie… dialogue

« D’accord quant à l’exemple, je le suis un peu moins quant à la thèse. Votre conclusion, qui prône à juste titre l’héritage des Lumières est la preuve que la philo fait quand même quelque chose. Sinon, on serait encore sous l’absolutisme. Qu’avez-vous pensé de la tribune de Jacob Rogozinski dans Le Monde l’autre jour? » Robert Harvey (commentaire de l’article « essai sur ce que nous sommes » – 16)

Je commencerai par la question.

La tribune de J. Rogozinski, professeur de philosophie à la faculté de philosophie de Strasbourg,  (Le Monde 10/11) commence ainsi : « Solidarité avec toutes les victimes des crimes abjects commis par les djihadistes dans notre pays. Juifs, chrétiens et musulmans, journalistes, enseignant, militaires, policiers, simples passants : tous sont morts pour la France »

Ce préambule comporte deux non-sens :

–  « Solidarité » qui ne peut pas concerner des victimes décédées.

– « Tous sont morts pour la France » qui concerne des personnes qui n’ont pas choisi d’être assassinées à des fins patriotiques.

Le reste est un sermon.

La globalisation (Nous, les Français) d’une impuissance intellectuelle (ne comprenons pas, n’arrivons pas à concevoir, ne parvenons pas à comprendre) fait de nous des pauvres d’esprit, nous qui ne croyons plus ou pas assez (la plupart d’entre nous ont cessé de croire, ou du moins de partager ce mode particulier de croyance que l’on nomme une religion.)

Hors de la religion pas de salut… l’aveuglement… la misère de l’homme sans Dieu… la prétention humaine à vouloir savoir…

Ce n’est pas nouveau. Surprenant, quand même.

Où est le discours philosophique, dans ce simplisme lyrique de lieux communs : la foi qui a édifié les cathédrales vibre dans les cantates de Bach et les toiles de Raphaël ?

Une écoute précise, par exemple de La Passion selon Saint-Matthieu, permettrait peut-être de réviser ce jugement vibrant, de quitter les lunettes de la béatitude mystique pour envisager une analyse de ce qu’est la musique, en général, en particulier celle sur laquelle on colle l’étiquette  « sacrée » ou « religieuse ».

Où est-il dans ce point de vue évangélique les révoltes contre l’injustice ont pris pendant longtemps une forme religieuse, portées par la croyance en un Dieu qui « renverse les puissants de leur trône et élève les humbles » [Evangile selon saint Luc] ?

L’histoire ancienne et récente ne comporterait-elle pas quelques épisodes dont la forme religieuse n’apparaît pas immédiatement comme émancipatrice ?

Ce professeur de philosophie qui déplore un abandon qui aggrave la crise de nos sociétés et nourrit notre aveuglement et notre nihilisme serait bien inspiré d’aller voir la définition que donne Nietzsche (philosophe, lui aussi) du nihilisme.

Pour finir, je lui poserai la question : en vous incluant humblement dans ce « nous », avez-vous voulu, par cette tribune, fournir un exemple de la misère intellectuelle dont nous serions affectés ?

                                                            *

J’en viens maintenant à la problématique de l’article.

Sa construction vient de la confrontation entre l’importance théorique de la philosophie et la place qui lui est donnée dans l’enseignement.

Pourquoi la société décide-t-elle de limiter l’accès à la philosophie, via une initiation sommaire,  à l’infime partie d’une classe d’âge ? A la fois dans le passé où cette minorité constituait la quasi-totalité de la population scolaire concernée, et aujourd’hui quand elle n’en est elle-même qu’une petite minorité.

Questionnement d’autant plus prégnant que la philosophie est un de mes investissements et que certains discours philosophiques (prononcés ou écrits) me paraissent, dans leur contenu ou par leur forme, abscons et/ou en contradiction avec la démarche d’analyse philosophique, telle que je pense l’avoir apprise et comprise. Cf. les deux exemples.

D’un côté, donc, l’interdit de la philosophie pour les enfants, de l’autre une production d’accès souvent difficile – l’abstraction renvoie à la double dimension de l’être –  peu accessible au plus grand nombre d’adultes.

Alors, l’interdit de l’enseignement de la philosophie est-il lié à sa difficulté d’accès, ou bien au contraire sa difficulté d’accès est-elle le signe d’un interdit d’une autre nature ?

Le questionnement de type philosophique se manifeste très tôt, vers trois ou quatre ans, au moment où l’enfant découvre qu’il est mortel.

Si le contenu du discours philosophique ne découlait pas de cette découverte corrélée d’angoisse et qui exige une réponse, quelle autre hypothèse  expliquerait cette spécificité humaine ?

La première réponse apportée par l’environnement au questionnement né de cette découverte traumatisante est un déni du réel qui recourt au support intellectuel du déni : croire. Croire que je ne meurs pas quand mon corps devient, pour un temps (christianisme), un cadavre, croire que j’ai une âme d’essence divine, immortelle.

La confrontation, chez l’individu et dans la collectivité, entre croire et savoir  produit par le biais de la philosophie, des concepts hérétiques, comme celui du deus sive natura de Spinoza.

Puisqu’il n’est pas possible de contenir le questionnement philosophique dans la sphère de transcendance, le pouvoir politique associé de près ou de loin à l’institution religieuse du croire dont il a besoin pour asseoir son autorité, met en place une stratégie pour le contrôler dans toutes les productions intellectuelles et sanctuariser son domaine de compétence : ce qui peut expliquer une tendance intrinsèque à l’ésotérisme et l’interdit extrinsèque d’enseignement, celui-là venant ensuite justifier celui-ci.

Si l’enfant scolarisé commence à apprendre à trois ou quatre ans que sa vie, comme toute vie, contient nécessairement sa mort, quel discours philosophique construira-t-il ?

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