Si J. Biden l’emporte globalement d’environ quatre millions et demi de voix (75 millions contre 71, soit 2,6% – la participation, au-delà de 66%, est la plus élevée depuis 1900), il s’en est fallu de peu (Géorgie, Arizona, Wisconsin, Pennsylvanie…) qu’il n’obtienne le nombre suffisant de grands électeurs. [L’hypothèse selon laquelle un candidat républicain moins clivant que D. Trump aurait pu être élu est absurde, puisque c’est précisément ce caractère qui a contribué à son élection de 2016 et au résultat « remarquable » de 2020.]
Il est fort probable que ceux qui ont voté « négativement » (contre plutôt que pour) sont plus nombreux parmi les électeurs démocrates et que les voix républicaines ont exprimé dans une large majorité un vote d’adhésion.
Depuis sa première candidature, le cœur du discours de D. Trump est l’affirmation que les USA « se sont fait avoir » par le reste du monde en général, en particulier (après les deux premières années du mandat) par la Chine, à cause de la gestion détestable d’un détestable démocrate afro-américain.
Le corollaire « America first ! » qui a rencontré et rencontre toujours le succès que l’on sait, a été assimilé à « Make America great again ! », autrement dit à la fusion « pays = moi » et ce moi = réussite selon les canons traditionnels, en l’occurrence = moi, Trump, mes milliards, ma tour, ma femme, ma blancheur, ma bible, ma toute-puissance antinomique de l’establishment démocrate citadin qui n’a rien fait pour les minorités et les plus défavorisés etc.
Ce cœur de discours repose sur le plus ou moins explicite complot qui présente comme victime le peuple américain, gentil, naïf, auréolé de la pure lumière de la création divine (connotation blanche) et les instigateurs comme des méchants, calculateurs, manœuvrant dans l’ombre (connotation noire).
Cette névrose (elle peut prendre la forme d’une psychose délirante : cf. les accusations de satanisme et de pédophilie lancées par la mouvance QAnon) peut séduire la frange des diverses minorités qui ne se rend pas compte que la connotation peut devenir un jour la dénotation et transformer les dupes en complices ou boucs-émissaires.
Se pose alors la question de savoir ce qui rend possible, audible, la théorie du complot.
Si la vie est perçue menacée, ce n’est pas à cause d’événements contingents (Trump émerge avant la pandémie et la mutation climatique trouve facilement des motifs de déni), mais par un danger plus insidieux, un quelque chose qui fait vaciller ce qui donnait du sens à l’existence et que D. Trump vient réactiver en mettant en scène des signes réconfortant par la démesure de leur expression.
Jusqu’à la fin des années 1980, l’expérience communiste à l’est constituait un élément de contradiction du système capitaliste dont les USA tiraient avantage en dénonçant le commun antinomique du rêve américain.
La contradiction a disparu avec l’implosion de l’URSS (la Chine est présentée comme une menace moins communiste qu’économique), mais elle hante suffisamment les esprits pour que D. Trump ait pu dire en sachant qu’il serait entendu qu’une victoire de J.Biden amènerait le communisme.
Si la peur du communisme peut toujours être un argument électoral alors que son idéologie et son expérimentation politique ont pratiquement disparu, c’est parce qu’il touche le commun de l’être (cf., entre autres, l’article du 6 novembre : le questionnement et la philosophie de l’entre soi) que le capitalisme a de plus en plus de mal à exorciser par la démesure de l’avoir plus que D. Trump s’évertue à incarner jusqu’à la caricature.
Les deux mois de transition passés, après l’éviction du devant de la scène du soi-disant et prétendu, par 71 millions de votants, magicien prestidigitateur, le nouveau président va devoir substituer au discours de « victimisation » celui de la responsabilité que la (presque) moitié ces citoyens américains n’a pas la moindre envie d’entendre.
« La seule façon de convaincre les gens que vous n’êtes pas un perdant est de les convaincre que vous êtes une victime » a dit un journaliste récemment en parlant de Trump. Éviter toute responsabilité et se prétendre victime de l’establishment politique ont été la marque de fabrique de Trump depuis 2016, que ce soit sa réponse à la pandémie ou aux fausses allégations de fraudes électorales. C’est la raison pour laquelle il a passé des mois à tenter de convaincre que s’il perd ce sera parce que l’élection lui a été volée. Cela lui permet aussi de jouer les matamores (seul contre tous), le bagarreur qui ne lâche rien.
Il est conforté dans cette attitude par les Républicains et sans surprise, les autocrates russes et chinois. Biden peut s’attendre à un parcours des plus périlleux, entre une opposition républicaine systématique et une gauche démocrate progressiste qui ne l’a soutenu qu’en échange d’une politique de justice économique et sociale et le soutien au New Green Deal, sans les compromis habituels chers aux démocrates « modérés ».
Vous avez raison de souligner que le slogan « Make America Great Again » renvoie implicitement à « Make American White Again ».
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Merci pour ces précisions.
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