La gauche, aujourd’hui ?

J’écoutais sur France-Culture, ce dimanche 25 octobre, un débat sur l’islamisme, l’école et le mouvement de protestation contre l’assassinat de Samuel Paty.

Il fut notamment question de l’islamo-gauchisme (voir un peu plus bas) et de l’éparpillement des forces de gauche incapables de s’unir dans un même discours pour un tel événement.

Ce fut l’occasion pour moi d’examiner la question récurrente : quel est le contenu de gauche, aujourd’hui ?

Ce qui, bien sûr, impliquait le questionnement de ce qu’il était, hier.

J’ai donc remonté le temps jusqu’aux années 1970 où la gauche, dans ce qu’elle avait de majoritaire, avait pu s’unir sur un programme de gouvernement.

Dès que j’eus ouvert et commencé à lire le livre de l’histoire, j’ai pensé au «  Je préfèrerais ne pas »  de Bartleby (Bartleby, the Scrivener – A Stroy of Wall Street – 1853 –Herman Melville) et je me suis dit que dans ce moment particulier où il est difficile d’apercevoir l’horizon, j’aurais dû ne pas.

Hum… Je n’avais jamais compris en quoi l’obligation de boire le vin quand il est tiré pouvait être une corvée, un pensum. Ce n’était pas faute d’avoir, dans un pur esprit scientifique, répété, multiplié les expérimentations, principalement rouges et blanches, calmes et pétillantes…  C’est que je n’avais pas imaginé qu’il pût si vite tourner en vinaigre… Et là…

                                                            *

Au congrès d’Epinay, en 1971, François Mitterrand déclara, avec force et conviction : « Celui qui n’accepte pas la rupture avec l’ordre établi, avec la société capitaliste. Celui-là, je le dis, ne peut pas être adhérent du Parti socialiste. »

Il fut applaudi avec la même force et la même conviction, élu dans la foulée premier secrétaire du PS, dix ans plus tard, président de la République.

Après moins de deux ans d’une tentative de politique de relance en accord avec le programme sur lequel il avait été élu en mai 1981, il décida, le 21 mars 1983, de prendre le virage de ce qui sera appelé politique de rigueur. La rigueur, faut-il le préciser, concernait principalement les salariés.

Le discours de rupture avec la société capitaliste venait d’éclater en morceaux sur le pavé d’une réalité contingente confondue, à dessein ou par faiblesse, avec un prétendu réel immuable et intangible.

Trente-deux ans plus tard, François Hollande fut élu sur la promesse du changement (Le changement, c’est maintenant !).

J’ai lu illico le fameux discours-programme qu’il prononça au Bourget le 22 janvier 2012… Le changement annoncé était impressionnant. Il y avait même la lettre de Camus à son instituteur…

Là, en cette fin d’après-midi dominicale plus tôt assombrie par le changement horaire, je me suis dit  que, vraiment, j’aurais dû ne pas.

L’abîme entre, non seulement les engagements, mais surtout la tonalité du discours, (s’il ne l’avait pas écrit, il le dit avec une telle force et une telle conviction qu’il semblait en être l’auteur) et le réel de son quinquennat, apparaît vertigineux, effarant.

Il n’y a rien qui corresponde entre les mots et les actes. Strictement rien.

Comme son prédécesseur socialiste, il prit, deux ans après son élection, un virage en tenant un discours qui plomba les quelques petits bouts de pensée de gauche qui pouvaient flotter encore, ici et là.

Un discours qu’il prononça avec la même force tranquille que s’il avait énoncé une loi naturelle gravée sur les tables de la révélation.

« Il faut produire plus. Il faut produire mieux. C’est donc sur l’offre qu’il nous faut agir. Ce n’est pas contradictoire avec la demande. L’offre crée même la demande. » (14 janvier 2014)

On sait la suite de la calamité.

J’ai arrêté la flagellation en me disant que la nuit porte conseil. On se rassure comme on peut.

                                                            *

Ce matin, le changement d’horaire fait venir la lumière plus tôt. Il y a quand même une justice quelque part.

Bon. La gauche est en lambeaux.

Hum… Mais, s’il s’agit de celle d’hier, est-ce forcément si grave que ça ? Le douloureux, je parle pour moi qui ai connu l’ère de sa rhétorique triomphante, n’est pas la croyance que je n’ai jamais eue en des promesses, mais d’avoir alors mal analysé et mal compris la fraternité dont les harmoniques, qui furent ô combien puissantes… mais fausses, résonnent encore… dans mon corps et mon esprit. Les deux ensemble. Je n’avais qu’à pas lire Spinoza,  ça m’apprendra.

Le pavé du réel de ce que nous sommes, donc.

Le réel du capitalisme tel que je le comprends et dont j’essaie de montrer ici le rapport avec ce qui nous constitue, en tant qu’espèce. De petites bouteilles dans la mer d’une rhétorique de gauche maintenant surannée et qui cherche, comme l’acteur du théâtre antique, le masque tragi-comique d’identification et d’amplification.

Il ne s’agit évidemment pas faire le procès rétroactif du passé de la gauche d’hier, mais de tenter de voir, la chute accomplie, comment il est possible de construire le chemin de la fraternité objective qui est la nôtre (cf. essai sur ce que nous sommes – 13)

L’élection de F. Mitterrand fut, essentiellement, la reconnaissance de la gauche comme autre chose que la voix critique de dénonciation condamnée à être dans l’opposition.

Se posa dès lors la question de son pouvoir : que pouvait le discours de gauche, fondé sur une analyse non spécifique, pour rompre avec le capitalisme réel, hors clivage patrons/ouvriers, riches/pauvres, celui de notre espèce ?

Ce qui surnage du néant de rupture des années Mitterrand, c’est l’abolition de la peine de mort. Sa limite (un sondage récent indique que la majorité des Français serait favorable à la peine de mort) touche précisément à ce que nous sommes et que le discours politique n’a pas abordé ni en amont ni en aval de celui de Robert Badinter à l’Assemblée Nationale. Un beau morceau de rhétorique.

Quant aux années Hollande, je préfère ne pas. Inutile de rajouter l’amertume au pitoyable.

Ce matin, donc, dans la lumière tôt établie, G. Erner recevait, sur France Culture Jean-Yves Pranchère, professeur de théorie politique à l’Université libre de Bruxelles, co-auteur avec Justine Lacroix de Les droits de l’homme rendent-ils idiots ? Je n’ai pas lu et je ne connais donc pas la réponse. Je souhaite que non. Encore faut-il s’entendre sur les mots…

Je conseille vivement d’aller écouter sur le site  de la chaîne son analyse, qui me semble très juste, du concept d’islamo-gauchisme.

Une étiquette, comme bien d’autres, qui révèle, comme toujours, la difficulté à ne pas se satisfaire du plaisir ambigu de l’écume.

A propos du conflit israélo-palestinien (un constituant de l’islamo-gauchisme), l’écrivain israélien Amos Oz, aujourd’hui disparu, avait publié en 2004 un manifeste intitulé Aidez-vous à divorcer ! Je l’avais lu et lui avait envoyé une réponse critique qui, entre autres, faisait remarquer que le divorce présuppose un mariage, et posait la question : quand, les Israéliens et les Palestiniens ont-ils été jamais mariés ?

Parallèlement, j’essayais de montrer la vanité du déroulé chronologique de l’histoire du conflit pour tenter de trouver la cause qui permettrait un consensus.

Je faisais et fais toujours l’hypothèse suivante : si l’une et l’autre partie continuent un conflit vieux de près de quatre-vingts ans, n’est-ce pas  parce qu’ils en tirent l’un et l’autre, un bénéfice ? Un bénéfice justifié par, dans ce qui les constituent l’un et l’autre, le non-droit à l’existence qui les conduit à une double stratégie mortifère sans fin ?

Tenter de comprendre – en devant aussitôt préciser, ce qui constitue un problème en soi, que comprendre n’a rien à voir avec justifier –  se heurte aujourd’hui à la brutalité des réponses toutes prêtes dictées par la violence des émotions.

La jonction de la crise politique née à la fin des années 80 de la mort d’une forme d’expérimentation du commun, conjuguée avec l’obsolescence des réponses religieuses qui explique en grande partie ce qu’on appelle le terrorisme islamiste, avec celles, vitales, du dérèglement climatique et de la Covid-19, est un formidable accélérateur d’angoisse.

Le discours de la gauche, aujourd’hui, est peut-être celui qui conduit à refuser l’espoir-désespoir, l’illusion de la promesse et de l’indignation qui va avec, pour construire la problématique clinique de qui nous sommes.

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