Etre entendu à l’école et à la Sorbonne

Pour être entendue afin de pouvoir être écoutée, la voix du professeur doit être perçue comme la voix d’un non-contestable adéquat du savoir enseigné.

Jusqu’aux dernières décennies,  disons une cinquantaine d’années, l’instituteur/ professeur contesté l’était non par les mots mais par le chahut. Une gesticulation pour dire : en tant que signifiant (forme, ici manière d’être), vous ne correspondez pas au signifié (contenu) du savoir que vous êtes censé nous enseigner.

Ce savoir, énoncé et perçu comme un non-contestable, concernait alors, pour l’école élémentaire, la totalité d’une classe d’âge à laquelle il offrait avec l’alphabétisation la possibilité d’une promotion sociale, pour l’école secondaire, une petite minorité qui deviendrait l’élite de demain.

Le savoir était, au-delà du programme et de son contenu, un non-contestable adéquat en ce sens que personne, ou presque, ne mettait en cause la nécessité, pour tous, de savoir lire, écrire, compter, connaître les grands événements de l’histoire, la carte géographique et passer le certificat d’études (enseignement primaire), ni, à part quelques révolutionnaires marginaux, celle de la reproduction de l’élite par elle-même via un savoir « classique et moderne » (enseignement secondaire).

La blouse de l’instituteur et le costume du professeur, leurs traitements, leur place dans la société, en étaient les signes.

Le chahut était donc provoqué par la perception confuse d’un danger, il était l’équivalent du rire que provoque, dans la rue, la perte d’équilibre de l’individu. (cf. Le rire – Bergson)

A partir de 1959, l’homogénéité de la population scolaire a disparu, ainsi que la diversité des orientations à la fin du CM2 : les élèves de l’école primaire sont tous passés dans l’école secondaire quels que soient leurs acquis, d’abord dans des CEG et CES (1962) avant le collège unique (1975).

Mais si le second degré a été, et heureusement, ouvert à tous, c’est sans les accompagnements nécessaires*  pour les professeurs, les élèves et les parents. Le discours d’enseignement de l’institution – l’articulation entre le savoir et la population scolaire – est en effet resté celui de l’époque antérieure où le non-contestable était inhérent à l’école : si on pouvait chahuter certains membres, on ne contestait pas l’institution, du moins majoritairement, non plus que la discrimination du savoir entre l’élite et le plus grand nombre. On apprenait chez l’instituteur les chefs-lieux des départements, les déclinaisons latines chez le professeur.

Peu à peu, la voix du professeur – socialement déconsidéré en même temps que le discours d’enseignement devenait inaudible – est devenue celle qui prêche dans le désert et le chahut s’est transformé en obstruction de la parole-même du professeur, non plus seulement (éventuellement) contesté en tant qu’individu, mais en tant que représentant de l’institution perçue inadaptée.

« Le professeur a raison pour ce qui concerne son enseignement » est donc aussi devenu obsolète – comment quelqu’un de si mal considéré pourrait-il avoir raison ? –  au point que des parents se sont peu à peu sentis autorisés à protester contre les contenus de l’enseignement et les appréciations pédagogiques.

Quand S. Paty proposa de montrer les caricatures de Mahomet à ses élèves pour examiner le sens de ce mode d’expression, il n’était pas audible pour un certain nombre d’entre eux qui avaient franchi la porte du collège avec le discours contestataire de leurs familles, et que certains allaient alimenter ensuite en inventant ce qu’il fallait pour le corroborer.

Pour l’accompagnement funèbre, la Sorbonne et les deux discours de Jaurès et Camus ont durement révélé un monde qui n’est plus*.

Le poème dont l’objet était l’accoutumance était à la fois sensible… peut-être aussi décalé dans le seul « je » du narrateur.

Si les thèmes abordés par E. Macron étaient pertinents, si le ton était sans pathos, l’articulation du discours ne fut pas adéquate.

L’auditoire à atteindre n’était pas ceux qui étaient déjà convaincus, mais la frange, si ténue soit-elle, de ceux (de toutes les religions)qui ne tolèrent pas la caricature.

Sous cet angle, le thème, à mon sens principal, qui n’a été évoqué que très fugitivement à la fin, est le rire.

Construire le discours funèbre autour du rire, outre qu’il permettait d’aborder tous les autres thèmes, correspondait parfaitement au cours qui a provoqué l’assassinat de ce professeur.

* Les problèmes posés par cette ouverture de l’enseignement secondaire, en particulier l’hétérogénéité des élèves, ont été et sont toujours ceux des effectifs, de la dégradation des conditions d’enseignement, de la dévalorisation salariale des enseignants, du refus d’examiner la pertinence discours d’enseignement hérité d’une époque où il y avait coïncidence entre la définition du savoir et la population scolaire concernée (notamment l’articulation études/emploi), enfin de la panacée prétendue des techniques pédagogiques qui ont conduit à des absurdités  et alimenté la spirale de la dévalorisation du statut d’enseignant.

Les professeurs se plaignent de ne pas être accompagnés et soutenus par l’institution : les difficultés qu’ils rencontrent et qu’ils gèrent plus ou moins bien selon leur solidité, touchent, en dernière analyse, au système capitaliste lui-même dont l’école révèle dans ses désarrois divers la vanité du « commun » qu’elle est censée valoriser, vanité révélée par les deux discours de Jaurès et Camus et le décalage entre la Sorbonne et la réalité scolaire – notamment celle des bâtiments –  d’aujourd’hui.

Les deux discours ont résonné, entre les statues de Hugo et Pasteur, comme le chant nostalgique d’une époque où existait un horizon invisible aujourd’hui.

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