La tête contre le mur du capitalisme

Aujourd’hui, 6 octobre 2020, intervenaient dans La grande table des idées (France Culture – 13 h 00 / 13 h 30) la sociologue Isabelle Ferreras et la chercheuse/enseignante aux Harvard Business School et Harvard Kennedy scholl Julie Battilana. L’une et l’autre ont publié (Editions du Seuil) le Manifeste travail.

Leurs propositions concernant le travail s’appuient sur trois piliers : 1 – démocratisation  2 – démarchandisation  3 – dépollution.

1 – « Les travailleurs et travailleuses doivent pouvoir collectivement valider les décisions de leur entreprise. Ces investisseurs en travail sont la partie constituante de l’entreprise, jusqu’à présent complètement oubliée. (…) Les entreprises ne doivent pas seulement se soumettre à la bonne volonté de ceux qui apportent du capital financier. »

2 – « L’élément clé, c’est de comprendre qu’il est important de ne pas laisser ledit « marché du travail » décider pour nous. Car le marché n’est pas neutre, il n’est pas juste. Ce serait laisser ceux qui le contrôlent décider de tout. Il faut préserver certains secteurs de la loi du marché et revenir à ce fondement : le travail n’est pas une marchandise. »

« Il faut que nous tous citoyens on soit impliqué dans cette conversation. »

3 – « Il faut démocratiser et démarchandiser pour pouvoir dépolluer »

Conclusion  « Il faut que nous tous citoyens, on soit impliqué dans cette conversation. C’est incontestablement un changement très divergent, on en a conscience. Il diverge par rapport aux normes existantes qui sont dominantes partout dans le monde. On peut orchestrer la mise en œuvre du changement. Les gens ont envie de participer à l’orchestration. L’envie est là, les solutions sont là. »

Ce discours a pour caractéristique majeure de ne pas remettre en cause explicitement le système capitaliste, un « interdit » qui peut s’expliquer par l’absence de solution de rechange pour les raisons souvent évoquées ici.  

C’est là que se trouve sa limite.

Ce qu’il propose, relativement à la place des travailleurs dans l’entreprise, à la loi du marché…  n’est évidemment pas nouveau : on le trouve chez les socialistes utopiques (Saint-Simon, Fourier…) et mai 68 a suscité des expériences inspirées par ces théories généreuses (Lip, par exemple).

Ce discours et celui de Thomas Piketty – il analyse  dans Le Capital au 21ème siècle le mécanisme des inégalités dans le système capitaliste et propose des solutions essentiellement appuyées sur l’impôt, notamment sur le patrimoine –  donnent l’impression d’un cycle : tout se passe comme si on redécouvrait les effets délétères du système dénoncés au 19ème siècle, accentués par les crises successives intrinsèques et corrélatives, dont celle que nous traversons.

La différence tient dans une perspective alternative qui autorisait l’idée de révolution, et dont l’absence l’interdit aujourd’hui.

Ce qui en revanche est commun, c’est la présentation, plus ou moins implicite,  du système comme produit par ceux qui en tirent profit, en particulier les actionnaires : le capitalisme, tel qu’il apparaît dans ce discours, n’est pas un particularisme humain, mais la spécificité de certains.

C’est sans doute ce biais qui conduit aux exhortations,  « il faut, on peut, l’envie est là » de la conclusion qui ne dit pas comment peut s’opérer la mobilisation.

On sait les limites du mot d’ordre «  Tous ensemble, tous ensemble… » repris, mais non inventé par les Gilets Jaunes.  

La proposition du bicamérisme pour l’entreprise est un autre signe de la limite de la démarche. Isabelle Ferreras se réfère au système britannique : le gouvernement de l’entreprise, dit-elle, est actuellement la chambre des Lords. Il faut lui adjoindre la chambre des Communes.

Concrètement ?

Que diraient les Communes de l’entreprise Bayer qui fabrique les nicotinoïdes ? Que diraient celles des usines sucrières ?

En d’autres termes : quel peut être le commun en faveur duquel se prononceront les Communes de l’entreprise, sinon celui qui inclut leur emploi ?

Sortir de ce dilemme implique une redéfinition du commun.

Et une redéfinition du commun implique une reconsidération de ce qu’est le capitalisme.

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