Prisons

Entre le 16 mars et le 23 avril, 11500 détenus ont été libérés pour cause de coronavirus. Le taux d’occupation des prisons est désormais inférieur à 100%. Il est encore de 110% (- 30%) dans les maisons d’arrêt. (Le Monde du 30 avril)

Déclaration de Yaël Braun-Pivet (LREM), présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale : « J’ai le sentiment d’une occasion historique. On a remis les compteurs à zéro  du point de vue de la population carcérale. C’est le moment idéal pour instaurer de bonnes pratiques afin que le nombre de détenus ne reparte pas brutalement à la hausse. » (id.)

D’abord, en quoi cet événement est-il une question de « sentiment », d’impression ? La libération anticipée d’autant de détenus pour des raisons autres que judiciaires est un fait d’une importance historique.

Une « occasion » ? Pourquoi pas une nécessité ?

Ensuite, la remise à zéro des compteurs n’est pas un choix, mais une mesure imposée : s’il n’y avait pas l’épidémie, les 11500 détenus seraient encore dans leurs cellules, en surpeuplement. Quatre mois plus tôt, juste avant la pandémie, l’improbable proposition saugrenue de libérer ceux qui le sont aujourd’hui (qu’est-ce que quatre mois ?) aurait-elle eu la moindre chance d’être entendue ?

Enfin l’objectif visé en ce « moment idéal » d’une « occasion historique » est d’« instaurer de bonnes pratiques ». C’est quoi, exactement, de bonnes pratiques ?

Serait-il excessif d’attendre d’une députée chargée d’une responsabilité importante, qu’elle mette à profit ce moment pour ouvrir enfin le dossier de la prison (souvent évoqué dans divers rapports, notamment parlementaires) de sorte que la mise à l’écart, quand elle est nécessaire, soit autre chose que l’enfermement que l’on sait, et dont il est établi depuis longtemps qu’il favorise la délinquance aggravée et la récidive ?

En d’autres termes, plutôt que de se focaliser sur les seuls éventuels aménagements matériels (évidemment nécessaires) du système carcéral et les délits susceptibles de valoir la prison (à supposer que  cela définisse les « bonnes pratiques »), ce moment historique ne nous fournit-il pas « l’occasion idéale » de réexaminer, outre les taux d’emprisonnement, la pertinence de la peine d’enfermement, non seulement  telle qu’elle  est pratiquée, mais en elle-même ?  N’est-il pas dit et répété à longueur de médias que « rien ne sera comme avant » ? Le rien de demain ne contient-il pas le système pénal et pénitentiaire d’hier et aujourd’hui ?

Ce type de questionnement est rejeté par une grande partie de l’opinion, comme le fut longtemps (cf. Victor Hugo) l’abolition de la peine de mort, au motif que  si on ne guillotinait pas de temps en temps, les crimes allaient inévitablement prospérer. Oui… Parce qu’il est absolument certain que la nature de l’homme le pousse irrésistiblement à vouloir tuer son semblable, à le voler ou à le violer. A se demander pourquoi, le 19 septembre 1981, le lendemain de l’abolition, vous, moi et quelques millions d’autres, nous ne nous sommes pas précipités chez nos voisins, armés d’un couteau de cuisine, pour les égorger… A moins que ce ne soit eux qui se soient précipités chez nous… Auquel cas nous nous serions rencontrés dans le couloir…

La difficulté est de faire comprendre que le rapport avec l’enfermement des délinquants et des criminels, comme celui du rapport avec la guillotine  (certains veulent la faire sortir du musée), est révélateur de celui que nous établissons avec nos peurs, et que se contenter de fermer la porte de la cellule sur ceux-là, c’est maintenir ouverte la porte des fantasmes pour celles-ci.

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