Ce qui agite le monde intellectuel en ces temps de confinement est la problématique de la traversée du poulet. Oui, pourquoi un poulet traverse-t-il une route ? On ne pense pas spontanément à se poser la question. On n’a peut-être pas tout à fait raison. Des réponses ont déjà été données. En voici d’autres, fournies soit par les mêmes personnages quand ils ont estimé utile de préciser leur pensée, soit par d’autres.
Donc, que ce soit bien clair : pourquoi un poulet traverse-t-il la route ?
Zénon : parce qu’il ignore que la distance peut toujours être divisée par deux et qu’il ne pourra pas rejoindre l’autre côté. Il est en effet évident que la flèche ne peut jamais atteindre la cible. Si elle l’atteint quand même, c’est parce qu’elle va plus vite que la division par deux. Et le poulet va nettement moins vite que la flèche.
Socrate : parce qu’il croit savoir qu’il sait ce que représente aller d’un point A à un point B alors qu’il ne sait pas qu’il ne sait pas. Bah… C’est une ignorance d’ignorance qui peut lui éviter quelques ennuis.
Platon : parce qu’il sait que l’Idée de poulet est toujours au-delà de l’ombre de son apparence. Nettement au-delà. Non, je n’ai pas dit dans l’au-delà. Attendez quelques siècles.
Rousseau : parce qu’il a aperçu une broche de l’autre côté et qu’il est naturellement bon.
Hegel : parce qu’il a besoin de s’éloigner de ses représentations pour que sa conscience de poulet existe pleinement en tant que conscience de poulet. Ça se joue dans sa tête.
Marx : Mais non, c’est le contraire. C’est la place qu’il occupe dans la chaîne de production qui détermine sa conscience de poulet et qui lui permet d’accéder à une conscience volaillère libératrice. C’est donc une traversée révolutionnaire visant à unir les poulets de tous les poulaillers du monde.
Sartre : parce que c’est dans le mouvement, non dans l’enracinement, qu’il découvrira qu’il n’est pas de trop dans le monde et que sa vie n’est pas absurde, même s’il est en situation d’être plumé.
S. de Beauvoir : pour devenir une poulette.
Hollande : je pourrais lui prêter mon scooter ?
Macron : parce qu’il pleut et que c’est le bon moment pour le ruissellement. Après, il trouve un job et il se paie un costard. Un vrai. Avec une Rolex… Mais non, pas un Solex, une Ro-lex !
Finkielkraut : parce que, précisément, le simple fait qu’il veuille traverser alors que l’avenir est derrière lui est, précisément, le signe de la défaite de sa pensée. Vive la corrida !
Le quatrième âge, bien sonné, mais vraiment sonné : Parce qu’il a vu une voiture qui arrive. Et il envisage de retraverser au cas où elle s’arrêterait pour l’éviter quand il est au milieu. On se donne les moyens qu’on peut, non ? Les moyens du bord.