Comme la caméra, c’est un appareil placé en face de l’intervenant et sur lequel défile le texte qu’il lit.
A la différence du texte écrit sur un papier dont la lecture oblige à quitter régulièrement des yeux la caméra, le prompteur produit un double artifice : il crée l’illusion d’une focalisation sur le téléspectateur et celle de l’improvisation.
Le résultat dépend de la capacité de l’intervenant à « jouer » de cet artifice qui présente deux difficultés : d’abord, il y a forcément un angle, si aigu soit-il, entre son œil, celui de la caméra et l’écran du prompteur, ensuite, le ton de la lecture n’est pas celui de l’improvisation ou de la diction d’un texte mémorisé.
Les trois récents discours du président en sont des illustrations.
Résoudre ces deux difficultés demande donc un travail analogue à celui de l’acteur : il doit apprendre à jouer avec ses mimiques, ses mains, son regard et, là est la différence, il doit faire semblant de prononcer un discours improvisé ou mémorisé alors qu’il lit un texte rédigé, tout ou partie, par ceux que l’on appelle ses « plumes ».
En d’autres termes, ce qui est donné à voir et à entendre, n’a rien de « vrai » : celui qui dit ne dit pas, ce qu’il dit comme de lui n’est pas de lui et il ne regarde pas celui à qui il adresse un discours censé dire la vérité.
Quand nous allons au cinéma ou au théâtre, nous savons que nous allons voir et entendre une fiction. Elle est plus ou moins intéressante, plus ou moins bien réalisée, mais même si elle a tout l’air d’être le réel, nous savons que ce n’est qu’une fiction.
Quand nous entendons et écoutons le président de la République à la télévision nous avons à résoudre une contradiction apparente : la forme du discours est celle d’une fiction, mais une fiction dissimulée*, alors que le contenu du discours est (censé décrire) le réel.
Contradiction apparente parce que nous savons qu’il est artificiel et vain de séparer la forme d’un discours de son contenu. L’une et l’autre sont indissociables et constituent un signe à décrypter.
Les études d’opinion indiquent qu’une grande majorité de citoyens ne « croient » pas ou plus à la sincérité des politiques.
L’élimination du prompteur ne serait donc pas essentiellement un changement d’ordre technique : elle serait la conséquence d’une reconsidération de l’action politique, dès lors débarrassée du clinquant, du décor d’apparat, de la séduction, de l’artifice, pour n’être plus que centrée sur l’essentiel : la responsabilisation des citoyens dont le président élu, s’exprimant avec le seul souci d’expliquer, avec ses mots à lui et ses imperfections, ne serait que le primus inter pares.
Hum…
Pour que cette utopie puisse commencer à ressembler à une hypothèse de travail, il faudrait une crise majeure…
* C’est la différence avec la fiction déclarée du théâtre ou du cinéma. Même si le contenu du discours touche au réel nous savons qu’il est prononcé par un comédien qui quitte son rôle pour venir saluer quand la pièce est finie ou après le « coupez » du réalisateur. Nous l’applaudissons plus ou moins, non selon la qualité du contenu du discours qui n’est pas le sien, mais selon sa capacité à en « rendre » le plus justement possible la forme et le contenu.