Hier soir, lundi 13, le sociologue Michel Wieviorka répondait aux questions des auditeurs sur France Inter.
La première question fut posée par une femme. Une question essentielle relative à cette formule souvent employée pour l’après-épidémie : quel est le contenu du « ça ne sera plus comme avant » ?
Une question qui cherchait à comprendre le sens des mots, ce qu’ils recouvrent, bref ce qui fait dire qu’il n’est pas possible de continuer à faire après ce qu’on faisait avant.
Qu’a répondu le sociologue ? Il a commencé par évoquer les catégories sociales dont, disait-il, on ne se souciait pas ou peu avant, et que l’épidémie a mis au premier plan, en particulier le personnel soignant et les caissières des supermarchés, dont il a déploré la faiblesse des revenus.
Il est ensuite passé aux Ehpad. Evoquant la façon dont on traitait les personnes âgées dont l’épidémie, selon lui, révélait la grande précarité – comme pour les professions citées plus haut – il parlé de « honte ». Il visait le rapport de l’Etat avec ces personnes. Et il avait de l’émotion dans la voix.
J’ai éteint le poste. Un geste-barrière. Inutile d’ajouter de l’énervement au confinement.
La honte est le sentiment lié à une faute commise. Un acte mauvais commis en connaissance de cause : comment pourrais-je être indigné contre moi-même à cause d’un acte que j’ai commis dont j’ignorerais qu’il était mauvais ?
Donc, je commets un acte dont je sais qu’il n’est pas bon, et, après que je l’ai commis… j’ai honte.
Oh, oui, j’ai honte, si vous saviez ce que j’ai honte !
La honte a cet immense avantage qu’elle évite de se poser la question du pourquoi et qu’elle peut être projetée sur les autres. Honte à vous ! Ce qui permet d’être en-dehors, de se déresponsabiliser. C’est confortable.
Le rapport que nous – société – avons avec les personnes âgées est-il de l’ordre de l’inconscience ? Ne savons-nous pas ce qui se passe dans les Ehpad ? Les rapports, les reportages sont légion qui dénoncent le manque de personnel, les salaires bas qui déterminent le recrutement par défaut, les mauvais traitements…
En quoi, pour ces questions, ceux que nous élisons et qui décident des priorités budgétaires seraient-ils différents de nous ?
Ils savent, comme nous savons.
Pour autant, eux et nous, pensons-nous commettre une faute ?
Même question pour le système carcéral. Le traitement de ceux qui sont lourdement condamnés (centrales, prisons), condamnés à de courtes peines ou en attente de jugement (maisons d’arrêt) fait, comme celui des personnes âges, l’objet d’innombrables rapports qui dénoncent les conditions de vie dans les cellules.
Le point commun entre les deux – on peut y ajouter le handicap : l’absence, « naturelle » ou forcée d’autonomie… sans la perspective d’une récupération, d’un retour à la « normalité ».
Tous, personnes âgées, handicapés, prisonniers, sont repoussés. Les différences ne sont qu’à la marge et variables selon les luttes menées par ceux qui considèrent que la vie contient le handicap de l’âge, de la pathologie, de la délinquance, bref qu’elle contient nécessairement la mort, réelle ou fantasmée et quelle qu’en soit la date.*
Il n’y a pas de « faute ». Simplement un problème à prendre « à bras le corps », comme on dit.
La religion chrétienne l’a résolu en inventant le péché originel. Ce qui permet d’avoir honte en permanence. On voit le résultat.
Il est dommage qu’un sociologue intervenant sur une chaine de radio publique n’ait rien de mieux à dire.
* J’ai enseigné pendant douze ans dans des services de pédiatrie. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de travailler au pied du lit avec des élèves en phase terminale. J’ai le souvenir toujours vivace d’un élève de 6ème dont le cœur allait lâcher sous peu, qui le savait et qui m’a demandé de lui apprendre l’alphabet phonétique. Vous la voyez venir, la pernicieuse question de l’à quoi bon ?