Ronsard – Baudelaire (1)

Deux discours où il est question d’amour, écrits par de deux hommes, adressés à deux femmes, à la fois inadéquats et pervers.

Le premier – celui de Ronsard (Quand vous serez bien vieille… – Sonnets pour Hélène –1578) – est présenté comme une tentative de convaincre une femme qui n’a pas envie d’accepter la relation amoureuse qui lui est proposée, le second – celui de Baudelaire (Une charogne – Fleurs du mal – Spleen et idéal – 1857) – s’adresse à une femme dont on ne sait rien sinon qu’elle est son « ange » et sa « passion ». [Les mêmes nombres composent les deux dates de publication… une simple curiosité]

1 – Le discours de Ronsard (1524-1585) est destiné à Hélène de Surgères, une jeune femme qui fait partie de l’entourage de Catherine de Médicis et dont le fiancé est mort à la guerre. La reine demande à Ronsard qui est un poète reconnu d’écrire des poèmes pour cette jeune femme. Il a vingt ans de plus qu’Hélène, il est amoureux d’elle, elle, ne l’est pas et refuse ses avances.

Voici ce poème, un sonnet (2 quatrains, 2 tercets) écrit en vers de 12 syllabes dits alexandrins (une version du Roman d’Alexandre fut écrite au 12ème siècle en vers de 12 syllabes et le nom fut donné à ce type de vers)

Un discours inadéquat en ce sens qu’il s’adresse explicitement à la raison pour convaincre – c’est du moins ce qu’il veut faire croire –  alors qu’il s’agit d’un problème d’affects, pervers puisque la jouissance est celle d’une esthétique de la cruauté.

Premier quatrain :

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle.

 – pour elle, peinte dans le futur, l’écrasement (les 6 syllabes + bien puis, en deux touches appuyées ( 2 + 4 syllabes) le sombre (soir, chandelle), le rien ou presque (v. 2 – l’organisation rythmique 6 + 6 = régularité, répétition, monotonie).

– pour lui, hors du temps, l’élévation  (v.3 : rupture de rythme : 2 + 4 + 6, progression exaltante : direz, chantant, émerveillant) dans la permanence qui renvoie l’Hélène future dans son passé révolu (célébrait, j’étais), et nie son présent actuel par le discours syllogistique = ma célébrité me donne l’être, or vous ne voulez pas de moi, donc vous n’existez pas, comme vous le constaterez mais trop tard et avec des regrets : du temps que j’étais belle = la beauté,  critère de vie –  n’a pas été exploitée.  Ronsardpoète est hors du temps par la création de la beauté, et il est assimilé à Ronsard-homme qui devient donc sans âge. Aimer le poète, la beauté, c’est donc devoir aimer l’homme pour pouvoir exister. [L’identification l’homme à l’artiste est un problème qui traverse les siècles, ce que confirmeront les demandeurs d’autographes et les groupies]

Deuxième quatrain :

Lors, vous n’aurez servante oyant [entendant] telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Même démarche. Le recours à la servante sert à obscurcir un peu plus le tableau (à demi sommeillant) et à grandir davantage le poète-homme assimilé cette fois au Verbe/Christ (oyant, nom, réveillant, louange immortelle) ; Hélène, dédoublée par la servante, est la Vierge (cf. « Je suis la servante du Seigneur » et le Magnificat) (bénissant votre nom), mais une vierge ratée : elle n’a pas compris qu’elle a été élue.

Premier et second tercets :

Je serai sous la terre et fantôme sans os 
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.

La mort physique de l’homme (v.1,2) son cadavre (sous la terre)sont escamotés  (fantôme sans os), par le poète dont le « je » est une âme bucolique (les ombres myrteux évoque plus Virgile que Dieu) en paix (repos) et en mouvement (par) = je ne vieillis pas, je ne meurs pas…moi.

L’absence de mot d’articulation avec le v.3 renforce le contraste entre « je » et « vous » encore plus écrasée (accroupie évacue l’activité que permettait assise) par l’âge et le remords ; (mon amour <> votre fier dédain = le sentiment contre  la posture ; en plus du sens, l’opposition des sonorités – mon amour <> votre fier dédain souligne la simplicité de l’homme (3 syllabes fondues) <> complication de la femme (4 syllabes heurtées).

Les v.5 et 6 sont la conclusion dynamique (v.5 : rythme identique au v.3 + deux impératifs) du syllogisme global : je vous propose mon amour, or vous le rejetez et le regretterez, donc aimez-moi ; c’est le sens de « vivez ». L’opposition demain / aujourd’hui est une référence savante au carpe diem (cueille le jour) épicurien du poète romain Horace (1er siècle avant notre ère) – la littérature latine est redécouverte au 16ème siècle qu’on appellera Renaissance.

La métaphore du v.6 rappelle le poème Mignonne allons voir si la rose (Ode XVII, à Cassandre Salviati – voir ci-dessous, en vieux françois). La rose ou les roses métaphoriques ne produisent pas les mêmes images.

Le discours fut inefficace, si l’on considère le but affiché : Hélène a persisté à refuser de déterminer ses sentiments et son désir par le raisonnement.

Il l’a sans doute été pour libérer l’aigreur de l’homme repoussé malgré sa notoriété et qui savait que le désir amoureux n’est jamais la conclusion d’un syllogisme. C’était donc perdu d’avance et le poème a sans doute été écrit avec cette certitude de l’échec, après. La création est donc mise au service du plaisir pervers de compensation qui tente de masquer le dépit sous un détachement simulé teinté de philosophie. Le poème est une réussite – ce qui laisse supposer qu’il a été composé à froid – et il est devenu un classique des programmes scolaires.

Son explication n’est pas toujours exactement celle que je propose.

Voici une conclusion d’un commentaire professoral trouvé sur Internet : « La stratégie amoureuse de Ronsard est, comme nous l’avons vu, paradoxale et relève de la gageure. Il s’agit pour le poète de séduire une jeune femme en lui montrant un tableau de sa future vieillesse. Le poème est pourtant l’un des plus connus de Ronsard. La délicatesse de l’écriture et la maîtrise technique nous donnent à voir un art fondamentalement juste, qui se distingue par son sens de l’harmonie. Chaque phrase du poème crée une atmosphère et une mélodie originales. L’œuvre est aussi une ode au pouvoir de la poésie, qui transcende le temps. »

Sans commentaire.

Ode XVII (à Cassandre Salviati – 1545)

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu cette vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
  
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las las ses beautez laissé cheoir !
O vrayment marastre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.

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