L’opéra, celui de Wagner notamment, est un des éléments de la problématique du rapport plus ou moins énigmatique entre ce qu’on appelle « art » et le ou les publics. En l’occurrence, l’art lyrique. Si la chanson est un art et si elle est « populaire », pourquoi l’opéra ne l’est-il pas ? Autrement dit et au risque de la simplification, si l’amateur d’opéras écoute les chansons, pourquoi l’amateur de chansons n’est-il pas aussi amateur d’opéras ? Simplification, oui, parce que les chansons n’ont pas toutes le même degré de popularité et peut-être aussi parce qu’il existe des opérettes – ah, le suffixe -ette ! Encore que… Ecoutez « La la la mine de rien, la voilà qui revient, la chansonnette… » interprétée par Yves Montand – que n’apprécient pas forcément les amateurs d’opéras. Du moins en France. Et puis, généraliser, comme ça… Enfin, il y a quand même une part de réel dans ces distinctions.
Cette problématique n’était pas étrangère à Wagner qui avait été attiré par l’anarchisme – il participa à la tentative révolutionnaire de Dresde en 1849 – et choisit la petite ville de Bayreuth pour s’éloigner des lieux fréquentés par la bourgeoisie dans le but de permettre un accès populaire à ses opéras. Sans doute un problème insuffisamment analysé, encore que l’esprit du festival de Bayreuth soit très différent de celui de Salzbourg, comme le signifie le prix des places.
Il y a en effet une spécificité de l’opéra wagnérien, que la question de l’épopée (cf. article 1) permettra peut-être d’identifier. Elle sera abordée un peu plus tard, je ne peux pas être plus précis.
Chanson ou opéra, il s’agit d’un récit, d’une histoire. L’ « ouverture » de l’opéra ou de la chanson fait entrer dans un monde autre – rien n’est plus frustrant, en tout cas pour moi, qu’une ouverture d’opéra jouée, seule, en élément de programme d’un concert.
La différence la plus apparente est celle du temps. Trois minutes pour une chanson – on a à peine le temps de s’asseoir – des heures pour un opéra, plus de quinze pour les quatre opéras de la Tétralogie (le prologue : L’or du Rhin, puis les trois journées : la Walkyrie, Siegfried, Le crépuscule des dieux) donnés à la suite à Bayreuth.
Là, on s’installe.
Une supposition : vous ignorez l’allemand, vous êtes à Bayreuth pour assister à la représentation de la Tétralogie, vous connaissez l’histoire dans ses grandes lignes, mais vous n’avez pas la traduction du livret.
Est-ce que ça fonctionne ?
Je pousse un peu plus loin : et si vous ne connaissez rien de l’histoire ?
Allons-y.
Vous ignorez tout de l’histoire, vous vous êtes débarrassé des idées reçues sur la musique de Wagner (du genre « Quand j’écoute trop Wagner j’ai envie d’envahir la Pologne » Woody Allen – c’est bien tourné, mais, et malgré la nuance du « trop », c’est quand même idiot) le début de L’or du Rhin.
Au tout début, tendez l’oreille, moins qu’une note et presque un bruit, une vibration, profonde et grave, soufflée, et qui se constitue peu à peu en musique d’ arpèges, crescendo, enrichie de cordes, jusqu’à l’éclatement d’une voix féminine bientôt rejointe par deux autres.
Plus de quatre minutes. La chanson habituelle a fini de raconter son histoire. Et là, ça commence juste.
Justement, c’est le commencement. On vient du fond de… peut-être la nuit qui précède le jour, peut-être la nuit qui enfante le monde, allez savoir… et on émerge à la lumière de la femme. De quoi nourrir un discours, non ?
Quatre minutes 14 secondes dans l’enregistrement de Georg Solti, le premier du Ring en studio, fin des années 50. Un monument. Si vous ne l’avez pas, si vous n’êtes pas abonné à un diffuseur (Deezer, Spotify…), vous pouvez trouver ces quatre minutes 14’ sur le site de France Musique : vous tapez « l’ enregistrement légendaire du Ring de Wagner par John Culshaw – c’est le producteur – et Geog Solti – le chef ).
Installez-vous et écoutez. Si vous avez un casque, c’est encore mieux. Et vous comprendrez pourquoi je parle de frustration. D’autant que suivent des extraits dont le choix pourrait être meilleur.
(à suivre)