Je suis tombé sur une vacance qui me semble significative de la déliquescence de la prise en compte du commun : l’état de délabrement de l’hôpital public, plus particulièrement celui de la gériatrie.
La lecture pas du tout angoissante de la double page publiée dans le Monde daté du 10 août sur ce problème – il vaut mieux être en bonne santé pour la lire – incite vivement à ne pas se laisser atteindre par une pathologie nécessitant une hospitalisation, ni à devenir dépendant, surtout si on est une personne âgée.
La question est de savoir à partir de quel âge on est une personne âgée. Avant – au siècle dernier, et encore avant – il y avait les gens normaux (ceux qui n’étaient pas vieux) et les vieux (ceux qui n’étaient pas normaux). Ensuite, les distinctions se sont affinées : les vieux sont devenus les personnes du troisième âge, les deux premiers étant celui des jeunes qui ont tout l’avenir devant eux (difficile de l’avoir derrière) et les adultes qui, eux, sont dans la force de l’âge. Aujourd’hui, la précision est encore plus fine puisqu’il y a les vieux d’un quatrième âge qui relativise donc beaucoup la vieillesse du troisième.
Les vieux, ceux d’avant, formaient un bloc indifférencié. Ils s’habillaient de noir et on les mettait dans des hospices construits exprès pour regrouper ceux qui n’étaient plus capables d’être vieux tout seuls. Ils n’étaient pas encore très nombreux parce qu’ils mouraient tôt et parce qu’ils étaient encore pris en charge par leurs enfants. Trois ou quatre générations sous le même toit. Les femmes ne travaillaient pas à l’extérieur, elles venaient juste d’acquérir le droit de vote et demandaient à leur mari pour qui voter, elles n’avaient pas le droit à un compte bancaire à leur nom et demandaient des sous à leur mari, et l’idée de conduire une voiture ne venait à l’esprit de personne. Personne de sérieux, s’entend. Surtout pas à leur mari. Quand ils en possédaient une.
La gestion de la vieillesse dans ces temps archaïques d’il y a un peu plus cinquante ans était considérée comme normale. La vieillesse était un naufrage, on jetait les bouées qu’on pouvait où on pouvait, on entassait et on refermait les portes.
Les conditions de vie ayant allongé le temps de la vie, les vieux sont devenus plus nombreux, au point même qu’ils manifestent parfois, mais oui, dans les rues et avec des banderoles ! pour protester contre l’insuffisance de leurs pensions. Bref, on les voit et on les entend. Et en plus, ils sont habillés comme les jeunes, avec des jeans !
L’article explique qu’ils sont aussi capables de rester des heures sur un brancard dans un couloir d’hôpital et qu’ils résistent même à des températures insupportables dans des chambres non isolées, sous les toits !
D’accord, il y a des effets secondaires, comme des escarres ou des pathologies provoquées par ces conditions de confort très relatif, mais on ne s’en sort pas si on se perd dans les détails.
La preuve que cet état des hôpitaux publics et de la gériatrie n’est pas préoccupant, quoi qu’en disent certains esprits chagrins qui voient le mal partout et qui parlent d’une catastrophe nationale, c’est que le président n’en parle pas.
Donc.
Est-ce qu’on ne pourrait pas demander aux vieux juste un petit effort supplémentaire ? Enfin, quoi ! ils n’ont plus d’emploi à assurer, plus d’enfants à charge, ils ont tout l’avenir de la journée ou de la demi-journée devant eux, ils sont dans la force de l’affaiblissement de l’âge, alors, est-ce qu’ils ne pourraient pas mettre un peu de bonne volonté pour vieillir un peu moins vite ? Ou alors très vite, d’un coup. Et si, par hasard, ils sont malades, est-ce qu’un peu de discrétion ne siérait pas à la sagesse qui est l’apanage du grand âge ? Si les oiseaux se cachent pour mourir, et je ne parle pas des éléphants, les hommes qui valent nettement mieux, ne sont-ils pas capables de plus ? Déjà, voler… Je ne parle pas des éléphants. Encore que, Dumbo…
Tenez, hier, nous avons revu le dolmen de Poulnabrone. Un tombeau collectif impressionnant construit il y a environ 5000 ans. Est-ce qu’il existait des services de gériatrie à l’époque ? Et est-ce que les vieux n’étaient pas heureux ? On les enterrait même avec des poteries, des bijoux, tout le nécessaire pour l’au-delà. C’est vous dire.
Est-ce que les personnels soignants qui désertent l’hôpital public aux motifs somme toute mesquins du manque de moyens matériels et de surexploitation de leur travail, ne pourraient pas s’en inspirer et rappeler aux vieux auxquels ils doivent mettre des couches faute de temps pour les accompagner aux toilettes, que ces couches sont peut-être l’équivalent métaphorique des poteries du dolmen de Poulnabrone ? Ou d’ailleurs. Les dolmens, ce n’est pas ce qui manque. Il suffirait d’un tirage en couleurs format A3. Est-ce que le stimulus intellectuel n’est pas déterminant pour un vieux – ou une vieille – couché pendant de longues heures sur un brancard dans un couloir d’hôpital, au milieu du brouhaha quand même gênant des va-et-vient ?
En voilà une idée qu’elle est bonne, disait un humoriste. Il est vrai qu’en France, on n’a pas de pétrole.