Le récit vaut la peine d’être lu :
« Son nom est personne mais tout le monde le connaît, car Marc Machin a symbolisé l’une des plus retentissantes erreurs judiciaires de ces dernières années. L’homme de 39 ans, jugé à huis clos – de droit quand la victime le demande – du lundi 11 au jeudi 14 octobre par la cour d’assises de Paris pour viol commis sous la menace d’une arme, vol et violation de domicile, avait passé six ans et demi en prison pour un meurtre qu’il n’avait pas commis. Celui de Marie-Agnès Bedot, en 2001, sur le pont de Neuilly.
Une enquête sans preuves, un témoignage fragile, les certitudes d’un policier galonné et l’intime conviction de deux cours d’assises avaient conduit à ce « désastre » judiciaire, selon le mot de Me Nathalie Garnier-Raymond, l’avocate de la famille Bedot. Mais aussi, sans doute, l’attitude empreinte de violence de Marc Machin pendant le procès, adolescent puis jeune homme à la dérive, consommateur de drogues, au casier judiciaire déjà chargé de plusieurs agressions sexuelles et de délits. Il avait eu beau se rétracter, en vain.
Sa vie a été décortiquée à l’envi : un père alcoolique, gardien de la paix, sur lequel sa femme a fini par tirer, avec son arme de service. Trois enfants placés, dont lui, à 5 ans, dans une famille d’accueil. La mort de sa mère, du sida, quand il en a 10. Le viol qu’il subit en foyer de la part d’un autre pensionnaire. La seule parenthèse heureuse de sa vie, il la doit à sa grand-mère, avec laquelle il vit quelques années, à Marseille. A la mort de cette dernière, il retourne chez son père, à Paris.
Et puis ce miracle, en 2004. Pris de remords, le meurtrier de Marie-Agnès Bedot se dénonce. L’ADN de David Sagno, un SDF, est retrouvé dans les prélèvements effectués sous les ongles de la victime. Une empreinte génétique, qui l’accuse aujourd’hui, sauve Marc Machin. Au procès de Sagno où il est entendu, le voilà qui sanglote : « Qu’est-ce que je serais allé tuer une mère de famille comme ça ? J’ai perdu ma mère. Mais ça va pas la tête ! » La justice a honte d’elle-même, alors.
Son innocence est reconnue le 20 décembre 2012 par la cour d’assises de Paris, au terme du long parcours de l’enquête en révision.
En juin 2014, il obtient 663 320 euros de dommages et intérêts, l’une des plus fortes sommes jamais consenties pour une erreur judiciaire. » (A la Une du Monde – 11.10.2021)
Les commentaires se partagent entre
« Le mieux avec un violent de cette espèce c’est de le mettre quelque part et de perdre la clé. »
« Il y a des gens irrécupérables. On le voit dès l’enfance: ceux qui travaillent mal et se comportent mal à l’école ont un avenir incertains. Le Président Sarkozy avait lancé l’idée du repérage de la délinquance dès 4 ans, que les bien-pensants ont moqué ! (L’opinion est celle d’une inconditionnelle bien connue des contributeurs de N. Sarkozy, qui s’est vu répondre par un lecteur : « Si N. Sarkozy avait été dépisté à 4 ans, aurait- il pu être président ? »)
« Dans ce domaine, il y a des explications et des excuses: les explications on les a (son enfance douloureuse), mais il n’y a aucune excuse. On peut être infiniment triste de ce parcours pendant son enfance, mais cet individu est dangereux et n’a rien à faire en liberté. »
et, les plus nombreux
« C’est ce qui s’appelle avoir tout faux. N’avoir rien fait en suivi financier, matériel et surtout psychologique… Notre société, Notre système n’a rien fait correctement. Et maintenant il ne reste plus qu’a le mettre en prison. Quel gâchis… »
« Il aurait dû être suivi. Avec une existence pareille il était traumatisé tout le monde n’a pas la force de se sortir d’une existence pareille. On pouvait mensualiser ce fric au lieu de tout filer d’un coup et un conseiller financier pour le placer. Le Justice est censée œuvrer pour réinsérer les gens, même les coupables et lui était innocent… 6 ans et demi pour un meurtre non commis c’est énorme. »
J’y vois pour ma part un exemple de la réticence à poser la question de la causalité, voire son refus. D’où le « il n’a pas d’excuse » qui résonne comme le contrepoint du déni de l’importance de l’environnement au motif qu’il induirait mécaniquement des comportements prévisibles démentis par le réel. C’est ce dont témoignent par exemple ces mots de l’avocat de la famille de la jeune femme assassinée, après qu’il fut relevé de sa condamnation : « Il faut que vous tourniez cette page. Que le regard qui a été porté sur vous (…) vous donne la force de ne plus vous considérer comme une victime, mais comme un homme responsable, libre de faire ou de ne pas faire. A partir de maintenant, tout ce que vous ferez sera de votre responsabilité. »
Comme si l’acquisition de la responsabilité était liée à un événement, en l’occurrence un retournement de situation, qui jouerait le rôle de la grâce divine.
Que Marc Machin ait été reconnu innocent du meurtre qui lui avait valu deux fois une condamnation aux assises n’en faisait pas pour autant un homme équilibré dont les traumatismes initiaux auraient miraculeusement disparu avec les 663 320 euros* après six années de prison. La manière dont lui a été donnée cette somme considérable n’a pu être pour lui qu’une incitation à l’irresponsabilité (de fait, il l’a « dépensée en totalité en voyages, hôtels, parfums, prostituées, stupéfiants… Le fisc n’a retrouvé aucune trace d’un investissement immobilier ou autre ») qu’il a vraisemblablement perçue, un peu comme l’enfant perçoit derrière l’absence de rigueur intelligente l’incitation à la permissivité.
*L’étonnante précision de la somme (par exemple, pourquoi 320 et pas 321 ?) indique un savant calcul dont les critères ne sont sans doute pas très éloignés de ceux qui constituent la volonté comme créatrice de liberté (cf. « Quand on veut on peut »).