Anne Applebaum est une journaliste américaine (USA), membre de la rédaction du magazine The Atlantic, lauréate du prix Pulitzer, historienne et auteur, entre autres, de La démocratie en déclin était l’invitée des Matins de France Culture (24.05.2021). Epouse de Radoslaw Sikorski, ancien ministre des Affaires étrangères de Pologne, elle possède également la nationalité polonaise.
Elle situe la cause du développement de l’extrême-droite dans la « déception » :
« Je pense que la principale réponse, l’idée principale à comprendre, c’est cette idée de la déception. Il y a des personnes qui ont été déçues par leur pays, ou parfois par leurs propres carrières. Il y a des personnes qui observent l’évolution de la Pologne depuis 1989 et qui se disent : ce n’est pas ce que je voulais, ce n’est pas le monde que j’espérais créer. »
Elle évoque la trajectoire politique de Viktor Orbán, qu’elle côtoyait dans les années 80, et qui s’est progressivement détourné du centre droit [sa position politique personnelle] :
« Progressivement, il s’est déplacé vers la droite. D’abord vers la démocratie chrétienne, et puis plus tard beaucoup plus loin à droite. Et je pense que dans son cas, c’était un moyen politique : il pensait qu’il y avait plus de votes à récolter. (…) Je pense que ce qui se passe en Pologne, en Hongrie, pourrait arriver dans d’importe quel pays européen. Il s’est déjà passé quelque chose de tout à fait similaire aux Etats-Unis (…) alors que culturellement, historiquement, il n’y a pas plus différent de la Pologne que les Etats-Unis. »
Elle conclut ainsi :
« Les pays changent, la politique évolue, il y a toujours une nouvelle génération, de nouvelles idées qui viennent changer la politique. (…). Nous avons besoin de compter, de nous appuyer sur cette nouvelle génération pour nous aider à développer le changement, à réformer nos institutions démocratiques pour qu’elles survivent. »
A supposer que la déception (un hiatus entre le réel vécu et l’attente qu’on en a) puisse être le moteur déterminant d’une population, l’exemple de la grande dépression (1929…) dont il n’est pas difficile d’imaginer la somme et la profondeur des déceptions qu’elle engendra (cf. Les raisins de la colère – John Steinbeck), suffit pour constater que l’explication de causalité n’est pas pertinente. (Franklin R. Roosevelt aux USA<> Hitler en Allemagne<>Front Populaire en France).
L’explication (en fait un simple constat) de la dérive de V. Orban confond « moyen politique » et « moyen électoral », comme la critique, un peu plus loin dans l’entretien, de la prétention de l’extrême-droite à être le véritable représentant du peuple, oublie de distinguer peuple et population.
Après les lieux communs (les pays changent, la politique évolue… ) la conclusion fait de la « nouvelle génération » la solution… comme si elle était épargnée par la déception… parce qu’elle est la nouvelle génération.
L’appel de la gauche à manifester le 12 juin « pour les libertés et contre les idées d’extrême-droite » (A la Une du Monde – 22.05.2021) témoigne d’une confusion analogue.
Ma contribution :
Manifester contre les « idées » du FN/RN n’a pas de sens : il est l’expression non d’idées mais de nos peurs et de nos angoisses, aggravées depuis la fin des années 80 par une crise de nature existentielle. Une manifestation n’a de sens que si elle est « politique », donc si elle regroupe l’ensemble des partis pour signifier que le FN/RN se situe, non dans le champ du politique (projet de société), mais dans celui des passions tristes (repli identitaire).