Art et innocence de l’enfance

L’abonnée du blog « francefougère » pose un double problème intéressant dans son commentaire sur mon article La croisade morale contre Miriam Cahn : ce qui permet de « nommer » un tableau et le respect de « l’innocence des enfants ».

Je développe un peu ce que j’ai déjà brièvement répondu.

– « nommer » un tableau, c’est-à-dire : « ceci est ou n’est pas un tableau » ou encore « ceci mérite ou ne mérite pas d’être accroché dans un musée ». On entre là dans le débat complexe qui suit le chemin que parcourt la toile depuis l’atelier où elle a été peinte jusqu’à la cimaise que vise son auteur.

Qui va décider et selon quels critères ?

En tant que spectateur, j’ai fait deux expériences récentes, l’une à Montpellier au musée Mo.Co. (Montpellier Contemporain) l’autre au musée Pompidou-Metz.

J’ai évoqué l’exposition consacrée à Suzanne Valadon dans un article publié il y a une semaine. Ce qui peut expliquer le fait que ses toiles ont été depuis le début et sont toujours reconnues comme « tableaux » dans le sens précisé plus haut, c’est qu’elles proposent une représentation « questionnante » du monde, notamment celles des femmes dont un académiste pourrait dire de certaines qu’elles sont mal dessinées, « inexactes ». Même type de problématique que Cézanne qui à mon sens réussit mieux à l’exprimer.  

Le Mo.Co. propose un grand nombre de tableaux d’artistes contemporains (ils ont entre 40 et 50 ans) – je ne connais aucun nom – dont le point commun est le choix du figuratif. Télérama en a fait l’éloge, une des radios que j’écoute aussi. Ce fut, pour moi, un spectacle désolant dans le sens où aucun d’eux ne m’a provoqué une émotion. Je suis resté devant certaines de celles qui dénotent une incontestable maîtrise de la peinture, du dessin, et dont la palette me plaisait : rien. En pensant l’histoire de l’art et de la peinture, je me suis posé sans ménagement la question que je reproduis telle quelle « est-ce que tu ne deviendrais pas un vieux con ? ». Nous étions quatre. Les trois autres ont eu la même appréciation désolée. Un, passe encore, mais quatre en même temps et qui n’hésitent pas à se dire des choses ! Bref, j’ai trouvé l’ensemble triste et je me suis dit qu’il est sans doute l’expression d’une société qui est dans l’impasse, sans utopie ni perspective et qui tourne en rond.  Certaines de ces toiles étaient pour moi des croûtes, mais elles ont été estimées dignes d’être accrochées par une équipe dont je n’ai aucune raison de mettre en cause les compétences et la responsabilité.

Miriam Cahn (74 ans) a choisi comme sujet de sa peinture la dénonciation de la guerre, de la violence sous toutes ses formes, notamment sexuelle, et la manière dont elle l’exprime est à la fois dérangeante par sa violence même et son esthétique : la dénonciation de la violence pose le problème de sa représentation (notamment au cinéma) dont le degré d’ambivalence est sans doute le critère le plus délicat à apprécier, et l’esthétique qu’elle choisit est, je dirais, celle du coup de poing à la fois par son côté « brut » et « enfantin » notamment par le dessin, les formes et les couleurs. De ce point de vue, elle ne laisse pas indifférent et elle n’est jamais dans la complaisance de l’exposé de la violence. Ce qu’elle fait voir, est en quelque sorte l’impact.

– dans quelle mesure l’enfant est-il « innocent » ? Le mot vient du latin nocere (nuire), –in étant la négation : est innocent celui qui ne nuit pas. Par extension, est innocent celui qui ignore le réel de ce qu’est la vie, en particulier sa dureté. L’enfant qui arrache les ailes d’une mouche peut être innocent dans le sens où il ne sait pas ce qu’il fait. Encore faudrait-il se mettre d’accord sur « savoir » et se demander si savoir passe nécessairement par la conscience réfléchie.

Question : en quoi Fuck Abstraction pourrait-il être un non-respect de l’innocence de l’enfant ? Il s’agit d’une hypothèse d’école puisque tout est fait dans l’exposition pour rendre impossible la présence d’un enfant, seul en tout cas, devant le tableau. En quoi le serait-il plus que les tableaux qui représentent les effets de la guerre, les sans-abris, l’explosion nucléaire ? Et en quoi diffère le spot d’Unicef diffusé à une heure de grande écoute à télévision et qui, pour des motifs d’appel à l’aide, montre des images d’enfants africains affamés, malades, couchés sur des lits d’hôpitaux sommaires, ou obligés de travailler dans des conditions insupportables ?

Le tableau concerne le tabou historique de la sexualité et du sexe, mais le tabou de l’adulte. Ce qui fait réagir les associations, ce n’est pas le risque pour l’enfant, mais ce que représente pour ses membres la représentation d’un acte qu’ils ne veulent pas voir : elles ne demandent pas qu’il soit d’accès protégé – ce qui ne pose un problème à personne – mais son décrochage.

Et puis, dans quelle mesure un enfant, accompagné, informé, pourrait-il ne pas voir le réel, notamment dans une expression esthétique ? Quand un parent dit à son enfant de ne pas suivre un inconnu,  sans plus de précision que cette du danger, il ouvre la porte à tous les fantasmes. En quoi sont-ils plus adaptés que l’information précise ? Et est-ce que l’enfant « n’apprend» pas souvent dans la cour de l’école une déformation préjudiciable du réel ?

Est-ce qu’un enfant est innocent, dans les deux sens définis plus haut ?

En-deçà de l’analyse théorique, une plongée dans les souvenirs de notre enfance aidera peut-être à faire la différence entre l’innocence que nous prêtons aux enfants et la réalité du savoir qu’ils ont, selon leur propre mode.

Le problème qui en découle, délicat, est celui du rapport entre le savoir et l’imaginaire créateur.

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