Avec la grammaire, on entre dans un autre type de rapport que celui du « comme il faut » social souvent culpabilisant de l’orthographe. Même si, tout au bout, les deux démarches se rejoignent dans la même problématique du sujet dans son rapport avec l’objet, voie signifiante du rapport essentiel, celui qu’il construit avec la condition humaine.
Etudier la grammaire (du grec gramma : la lettre, l’écrit), c’est étudier les rapports de sens signifiés par les structures du langage.
Qu’est-ce que c’est que ce que je dis ?
C’est en quoi peut être émouvant le bonhomme Jourdain qui veut comprendre le langage qu’il utilise sans le connaître parce qu’on ne le lui a jamais enseigné. Là, comme pour le statut de la femme, Molière est un bon réac qui fourre dans le même sac du ridicule les codes sociaux et l’apprentissage du parler. Est-ce que les définitions de la voyelle, de la consonne ou de la prose sont de l’ordre du savoir d’évidence ?
Celle de mode (en conjugaison), certainement pas. Aucun des milliers d’élèves de premier et second cycles rencontrés pendant les douze ans de mon enseignement dans les hôpitaux n’a su m’en donner une définition. Aucun adulte non plus à qui j’ai posé la question. La seule réponse était l’énumération, plus ou moins exhaustive, de leurs noms : indicatif, subjonctif etc. Tous croyaient savoir, mais aucun ne savait parce qu’aucune explication n’avait été fournie.
Ce qui m’a conduit à remettre en cause le discours d’enseignement de la grammaire, ce fut cette découverte, faite à l’hôpital, de la misère d’apprentissage (dans les deux sens) qui n’est certainement pas le fait du hasard ou d’un défaut d’intelligence ou de je ne sais quelle carence pédagogique.
Définir ce qu’est le mode en conjugaison, c’est aborder la question du rapport à l’objet, en l’occurrence les notions de réel et de réalités appliquées par le sujet au monde extérieur.
N’importe quel enfant ou adolescent est capable de comprendre que mode désigne une manière de (en l’occurrence de conjuguer un verbe) et qu’il y en a plusieurs parce que nous avons le choix entre :
– décrire le réel tel qu’il est : nous utilisons alors l’indicatif (du latin indicare : indiquer, révéler, formé à partir du nom index, d’où le nom donné au doigt qui sert à désigner) – ex : il pleut.
– décrire notre réalité, c’est-à-dire ce que nous souhaitons, craignons etc. dans notre rapport avec le réel : nous utilisons alors le subjonctif (du latin subjungere : subordonner, mettre sous la dépendance de) – ex : je souhaite, je crains (mode indicatif qui désigne le réel de mon souhait, de ma crainte), qu’il pleuve (mode subjonctif, dépendant de mon souhait, de ma crainte).
– etc. pour les modes impératif, conditionnel, participe, gérondif, infinitif.
La cause première de cette indigence du discours d’enseignement qui, par exemple, continue toujours et encore à énoncer en guise d’explication cette absurdité que le complément d’objet est ce qui répond à la question quoi ? est à chercher dans la gravité de l’enjeu du rapport avec notre condition et dont la substitution du verbe avoir au verbe être dans les expressions « j’ai un corps, j’ai un esprit » est une illustration, plusieurs fois décortiquée ici.
Ce qui revient à dire que le contenu du discours d’enseignement ne ressortit pas à la pédagogie – un cache-misère ou une béquille bancale – mais à la philosophie.
Pour le moment, une philosophie du déni du réel qui utilise un indicatif trompeur.