Bach a vécu dans un monde théocratique, chrétien, précisément luthérien. Si l’institution religieuse qui lui procura des emplois (organiste à Arnstadt, maître de chapelle à Köthen, cantor à Leipzig) détermina donc un grand nombre de ses compositions (la plupart des cantates conservées, la messe en si, les passions…), un grand nombre d’entre elles furent profanes (clavier bien tempéré, concertos brandebourgeois, variations Golberg, suites pour orchestre, clavecin, violoncelle…).
Sa Passion selon saint-Matthieu fut donnée plusieurs fois dans l’église Saint-Thomas de Leipzig et suscita les critiques des protestants dit piétistes qui considéraient que l’essentiel de la foi se trouve dans la relation mystique personnelle avec Dieu. La musique, surtout polyphonique – celle de la passion, notamment – ne convenait pas pour cette conception de la foi… qui était celle de Bach qui signait ses partitions par la formule Soli Deo Gloria ( « A la gloire du dieu unique ») empruntée à Luther… qui aimait beaucoup la musique et qui fut à l’origine des chorals, ces airs chantés en langue allemande par l’assemblée des fidèles.
Le rapport religion/musique est intéressant en ce sens qu’il concerne le rapport corps/esprit (âme).
La musique de l’église catholique romaine est celle du plain-chant, c’est-à-dire une musique vocale à une voix, avec un accompagnement identique, dont la forme la plus emblématique est le grégorien – interprété sans accompagnement, « a cappella », surtout dans les monastères – qui pourrait être défini comme une musique « décorporée » – analogue à la fonction de l’uniforme religieux qui « élimine » le corps du moine, de la moniale, du pape, et jusqu’au concile Vatican II, de tous les ecclésiastiques. Les Petits chanteurs à la croix de bois en sont une autre illustration
Le christianisme considérant le corps (sexué, mortel) comme l’enveloppe à la fois impure et obligée de l’âme (immortelle), il fallait écarter le plus possible tout ce qui pouvait solliciter le plaisir des sens, donc celui de l’oreille – l’orgue et les chorales paroissiales venant apporter une compensation à cet appauvrissement musical .
Luther se révolta contre le pouvoir papal en publiant ses 95 thèses principalement dirigées contre le commerce des indulgences organisé par Léon X – on pouvait racheter ses péchés en donnant de l’argent pour la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome.
Il opposait à la hiérarchie romaine, à ses institutions et à ses dogmes, une pratique de la foi déterminée par les seules Saintes Ecritures et c’est dans cette opposition que peut se comprendre le transfert de son engouement personnel pour la musique dans les chorals, chantés dans les offices non plus en latin mais en langue vernaculaire, en l’occurrence en allemand.
La musique polyphonique était à la fois adéquate en tant qu’elle s’opposait au plain-chant catholique et en porte-à-faux avec le piétisme qui était plutôt une démarche intériorisée, d’où les critiques contre la Passion.
C’est sous cet angle que je propose d’analyser la partition, dans ses grandes lignes, en considérant, comme je l’ai précisé, le rapport entre la tonalité du texte et celle de la musique.