La grammaire française telle qu’elle est enseignée aux professeurs par le ministère de l’Education nationale (8)

*Rappel :

-GFM : Grammaire française « ministérielle » (sur Internet)

– GEQ : La grammaire en questions – titre d’un essai de l’auteur du blog.

Troisièmes étiquettes : propositions indépendantes, principales, subordonnées.

Comme simple et complexe, indépendant, principal et subordonné ne sont pas spécifiques du langage grammatical. Principal indique un plus important que subordonné, notamment dans le domaine social alors qu’indépendant exclut ce type de rapport. En grammaire, les trois termes posent donc la question du sens du message, écrit ou oral, autrement dit ce qui permet de dire que telle partie (proposition) est plus importante (principale) que telle autre (subordonnée) ou bien que chaque partie a la même importance (indépendante).

GFM : 1- Niveau II – p.52 : L’étude de la subordination consiste essentiellement en l’étude des propositions subordonnées. Une proposition subordonnée se définit comme une proposition incluse dans une autre proposition, dite « principale » et dépendant de celle-ci .En français, la subordination requiert généralement la présence d’un mot subordonnant (conjonction de subordination ou pronom relatif).Il existe toutefois trois cas de subordination sans conjonction : la proposition subordonnée infinitive (J’entends l’oiseau chanter), la proposition subordonnée participiale(Le chat parti, les souris dansent) et la proposition subordonnée interrogative partielle (Je me demande qui chante).

2 – Niveau II – p.65 :  Dans la phrase complexe, les notions de coordination et de juxtaposition désignent une relation entre deux propositions qui se situent sur le même plan et forment, à elles deux, une nouvelle phrase. Ces deux propositions situées sur le même plan sont nommées « propositions indépendantes »

GEQ critique : (1) L’absence de rapport au sens et la priorité donnée aux repérages peuvent laisser croire que la subordonnée « incluse dans une autre proposition [principale]» se trouve physiquement dans cette principale.

(2) Le fait que deux propositions indépendantes puissent constituer une phrase complexe apparaît comme un paradoxe, sinon une contradiction.

GEQ proposition : Comme la grammaire officielle traditionnelle, la GFM distingue donc trois types de propositions (indépendantes, principales et subordonnées) qui peuvent être soit juxtaposées soit reliées par des conjonctions, et précise que les conjonctions de coordination relient des propositions de même nature, celles de subordination les principales aux subordonnées.

Soit trois exemples :

1 – J’ouvre mon parapluie, il pleut.

2 – J’ouvre mon parapluie car il pleut.

3 – J’ouvre mon parapluie parce qu’il pleut.

Du point de vue de la forme :

– la première phrase est formée de deux propositions juxtaposées, de même nature, donc indépendantes. (GFM dit qu’il s’agit d’une phrase complexe et que les deux propositions sont reliées par la ponctuation – GEQ explique que la virgule est une respiration qui permet de mettre en valeur et de manière égale chacune des deux parties du message.)

– la deuxième de deux propositions reliées par la conjonction de coordination « car », donc de même nature, donc indépendantes. (phrase complexe pour GFM)

– la troisième de deux propositions reliées par une conjonction de subordination « parce que », donc de nature différente : la première est principale, la seconde, introduite par la conjonction, est subordonnée. (id.)

Il sera toujours possible d’affirmer qu’il y a une gradation dans la relation entre les propositions, que car est plus « fort » que la juxtaposition et que parce que l’est plus que car, mais en quoi aura-t-on montré que car unit deux indépendantes et parce que une principale et une subordonnée ?

Autrement dit, en quoi car autorise-t-il l’indépendance, et parce que ne la permet-il plus, ou l’inverse ? Dans quelle mesure est modifié le rapport entre les deux propositions selon qu’est utilisé car ou parce que ?

Du point de vue du sens :

La question peut encore se formuler ainsi : en quoi le fait de juxtaposer, de coordonner ou de subordonner modifie-t-il le rapport entre les deux parties du message, ici de cause à effet, l’effet précédant la cause ? Ou, pour suivre la logique de GFM, en quoi la complexité des trois phrases est-elle moindre ou plus grande selon qu’il y a tel ou tel type de conjonction ou qu’il n’y en a pas ?

Relativement au sens, ce problème rejoint celui du simple et du complexe : est-ce que la simplicité et la complexité d’une phrase sont dans la syntaxe ou dans la lecture qui en est faite ?

La lecture simple de ces trois phrases-exemples consistera à expliquer que la pluie est la cause de l’ouverture du parapluie.

La lecture complexe consistera à expliquer que la cause est à chercher dans un rapport : en effet, je peux habituellement marcher sous la pluie sans parapluie parce que j’aime ça,  mais me trouver dans une situation particulière qui m’oblige à avoir un parapluie pour protéger quelque chose ou quelqu’un.

Il est donc nécessaire de confronter l’examen de simple et complexe avec celles d’indépendante, principale et subordonnée.

Pour examiner la valeur de ces distinctions, je m’appuierai sur le passage célèbre – et intéressant à bien des égards – des Confessions où Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) raconte comment il apprit à lire.

« J’ignore ce que je fis jusqu’à cinq ou six ans ; je ne sais comment j’appris à lire ; je ne me souviens que de mes premières lectures et de leur effet sur moi : c’est le temps d’où je date sans interruption la conscience de moi-même. Ma mère avait laissé des romans. Nous nous mîmes à les lire après souper, mon père et moi. Il n’était question d’abord que de m’exercer à la lecture par des livres amusants ; mais bientôt l’intérêt devint si vif, que nous lisions tour à tour sans relâche, et passions les nuits à cette occupation. Nous ne pouvions jamais quitter qu’à la fin du volume. Quelquefois, mon père, entendant le matin les hirondelles, disait tout honteux : » Allons-nous coucher ; je suis plus enfant que toi. »

En peu de temps, j’acquis par cette dangereuse méthode, non seulement une extrême facilité à lire et à m’entendre, mais une intelligence unique à mon âge sur les passions. Je n’avais aucune idée des choses, que tous les sentiments m’étaient déjà connus. Je n’avais rien conçu, j’avais tout senti. »

Quand j’étudiais ce passage avec des élèves de première, j’avais l’habitude de leur demander immédiatement après la lecture, quelle était la phrase qui leur paraissait la plus importante. Je précise qu’ils savaient que la mère de Rousseau était morte quelques jours après l’avoir mis au monde.

A quelques rares exceptions près, ils n’indiquèrent jamais « Ma mère avait laissé des romans. » Ce qu’ils recherchaient, c’étaient une phrase complexe, le seul type de phrase qui, dans leur esprit, pouvait être la plus importante. Une phrase toute simple, composée d’une seule proposition indépendante, ne pouvait certainement pas être celle-là. Et quand, dans le cours de l’explication, je leur demandais comment ils expliquaient le comportement du père, ils proposaient des jugements et s’efforçaient de le faire entrer dans une catégorie psychologique (exalté, excessif, original etc.).

Puisqu’ils étaient persuadés qu’un terme désignant une forme ou une structure était porteur de sens en soi, ils commençaient par tenter de faire coïncider le complexe grammatical avec le complexe du sens, quitte à coller des étiquettes : Jean-Jacques Rousseau avait reçu une éducation originale, le père de Rousseau était bizarre etc.

Leur point de vue commençait à changer quand ils constataient que, la longue première phrase – au présent – en quatre parties, complexe, étant un discours, le récit débutait précisément par « Ma mère avait laissé des romans. », une phrase simple… en apparence.

S’ils n’en avaient pas remarqué l’importance, c’est parce qu’ils avaient été formés à s’intéresser plus aux repérages qu’à la problématique du sens.

Comme tous mes collègues, je l’ai vérifié en corrigeant les copies des épreuves de français du baccalauréat et en interrogeant à l’oral : si les candidats sont capables d’écrire et de dire les pires bêtises, c’est qu’ils n’ont pas le sentiment d’être dans le réel, mais dans un monde artificiel et codé auquel seuls ont accès des initiés. Je me rappelle que, commentant un texte de Victor Hugo qui racontait son passage nocturne au col de Saverne, certains candidats avaient décelé le thème du cirque, parce qu’il y avait des chevaux et que l’auteur voyait dans le ciel des formes qui évoquaient des trapèzes. Pour des élèves de lycée, la lecture, officielle,  « règlementaire » selon des « thèmes ou axes de lecture » » (s’agissant d’adolescents – et au-delà –  c’est un véritable un crime contre l’intelligence)  vide les textes de leur problématique et en fait des objets artificiels dénués de sens.

Ce qui a été inculqué pour l’analyse grammaticale fonctionne pour l’analyse littéraire : une phrase simple ne peut évidemment pas dire le complexe, donc « ma mère avait laissé des romans » ne peut être qu’une information secondaire, un détail sur lequel il est inutile de s’attarder, même si la mère/épouse qui a laissé ces romans est morte peu après l’accouchement et même si les effets de cet apprentissage ont pris une dimension à certains égards traumatisants.

(à suivre)

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