Rencontre cévenole en mode absurde… encore que (8)

J’ai renfilé mes chaussettes et me voici derechef installé devant mon ordinateur pour conclure la lettre avec une formule de politesse. Je sens la même hésitation que pour l’intitulé, entre : « Nous attendons fébrilement votre réponse en nous rongeant les ongles jusqu’au sang. Signé : Vos adulateurs inconditionnels pour les siècles des siècles, Georges Van AA (alias GE), belge, et JiPé X, (alias JE) pas belge  » et : « Sauf réponse de votre part dans les quarante-huit heures nous publierons ce que vous n’ignorez pas que nous savons (sens français) ! A bon entendeur, salut ! » – quand le téléphone sonne.

Je décroche… En réalité, non, je ne décroche pas. Avant, oui, quand l’appareil était fixé au mur – on voit ça dans les films de série B où le téléphone se trouve dans un couloir sordide (parce qu’on est dans une maison de pauvres où il y a aussi des bandits seuls dans des chambres mansardées avec des lits pas propres), comme ça tout le monde peut entendre, ce qui est très utile ou au contraire pas du tout, ça dépend – on décrochait. Maintenant que les combinés (il y a dedans l’écouteur et le microphone, et on dit combiné, parce que ça combine les deux) sont posés sur des socles, il faut dire « je lève ».

Donc, je reprends « … quand le téléphone sonne. »

Je lève.

– Allô, allô, qui est à l’appareil ? demandé-je.

– Ici, GE.

Je le sens inquiet. Je me dis qu’il va me dire qu’il souhaiterait qu’on avance sur l’aguichage.

– C’est moi, JE, précisé-je.

– Quand est-ce qu’on aguiche, JE ? s’enquiert-il, comme je m’y attendais.

Ah ! mais c’est que je commence à le connaître mon Georges Van AA (alias GE) !

– Tu veux dire quand est-ce qu’on balance « the teaser or the teasing », isnt’it ? rétorqué-je aussitôt en mêlant finement l’anglais au français.

Nous éclatons de rire. Pardon ? Oui, de conserve.

– D’abord, lui dis-je, il faut ramasser les morceaux épars de la lettre et les coller ensemble, histoire de voir ce que ça donne.

– It’s OK ?

– It is !

– Go ! me lancé-je alors à moi-même pour m’inciter à me jeter dans le texte comme dans l’eau bleue d’une piscine pour ramasser un truc qui serait au fond.

Je repère, je copie colle, je reprends le combiné.

– Je te lis la missive intégrale, GE ?

– Allez, lis-la, MA est là qui l’oit  !

– Des lilas ? Je ne … Ah oui, ça y est ! Quelle belle allitération poétique en liquides !

– C’est pas de la petite bière, une fois, c’est sûr ! ajoute GE avec un œil que je devine plissé et goguenard.

J’entends MA pouffer.

– Et en plus le vers est impair ! ajouté-je après avoir compté sur mes doigts.  Verlaine serait content !

– Tu crois ?  En tout cas, c’est pas fait exprès, c’est quasi naturel. Je vais peut-être me mettre à versifier.

– En attendant, tu nous lis la lettre ? intervient MA.

Et je commence par l’intitulé tout moliéresque Jumeau Monsieur Luc-Jules Cher.

A la fin du paragraphe « Pensez aux trompettes de la renommée des fanfares municipales, aux louanges dithyrambiques des sous-préfets, aux ovations de la foule en liesse, aux couronnes tressées sur les estrades sous les préaux des écoles, aux piédestaux* (*un cheval des chevaux, un piédestal des piédestaux)… » GE m’interrompt :

– Je me demande si la précision orthographique ne risque pas de le vexer. Tu te rappelles qu’il a fait deux fautes à la dictée du certificat d’études ?

– Oui, mais il n’est pas impossible qu’il s’imagine un jour statufié sur un ou plusieurs socles.

– Tu crois ?

– La démesure est partout. Surtout chez les autres. Alors, entre le risque de la vexation et la honte des « piédestals », t’imagines ! le risque est quand même… [là, c’est un énorme juron que je parviens à garder dans mes intérieurs] préférable. Où en étais-je ? Ah, oui…

Et je termine ma lecture avec le retentissant « A bon entendeur salut ! »

Le silence qui suit est troublé par un bruit bizarre, à l’autre bout du fil, là-haut, dans la montagne. Serait-ce le bruit du vent dans les micocouliers ?

– Q’entends-je ? demandé-je.

– C’est MA qui pleure après avoir pouffé, dit GE d’une petite voix.

– C’est trop beau, articule MA entre deux sanglots.

– Allons, allons, ressaisissons-nous, diantre que diable et morbleu ! lance bravement GE en tentant avec une force toute virile de masquer son émotion. Il faut encore aguicher, balancer le teasing, comme tu dis, JE, et pouis – je retranscris phonétiquement par respect des différences linguistiques qui s’inscrivent dans la problématique du rapport entre absolu et contingence – rédiger le scénario, le vrai, que personne ne connaît à part nous, et encore… et pouis (je n’insiste pas) nous devons d’abord envoyer cette foutue missive ! Où savons-nous trouver LJJ ?

Il me plaît de souligner encore l’utilisation belge du verbe savoir, dans le respect des différences dont j’ai précisé l’essence là, juste au-dessus.

Au Complexe Belge du Cinéma ?

– Ouais… J’ai comme un doute. Nous savons [sera-ce une belgitude ? ] comment [eh non !] est reçu et dépouillé le courrier dans ce type d’entreprise qui grouille de secrétaires ! Rien à voir avec la précision et la minutie avec laquelle sont reçus et dépouillés les sangliers que je cogne sur la piste avec mon 4×4 et que MA découpe dans la soupente avec son couteau à dépouiller ! La probabilité que notre missive parvienne dans les mains propres de LJJ est si infime qu’elle tend au-dessous de zéro.

Il a raison, comme souvent. C’est qu’il a vécu, lui !

– Je vais y réfléchir, proposé-je, hochant imperceptiblement la tête, troublé quand même… [c’est pas possible, j’y crois pas ! protesté-je in petto] par les perturbations émotionnelles de GE et MA dont j’espère qu’ils parviendront à les surmonter, seuls, là-haut… enfin par rapport à G***…  et en bas… par rapport à la route d’où part la piste qui descend en épingles à cheveu vers leurs cases maçonnées.

Je raccro… repose lentement sur sa base le combiné.

( à suivre)

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