Le mercredi 5 février, Thomas Kemmerich (parti libéral) a été élu président de Thuringe grâce aux voix accordées de la CDU – parti d’Angela Merkel – et de l’AfP, parti d’extrême-droite. Il a dû démissionner le lendemain après de nombreuses protestations, dont celle, claire et nette, de la chancelière. Et, ce 10 février, celle qui devait succéder à Angela Merkel au poste de chancelière, vient à son tour de démissionner de la présidence de la CDU.
Cette alliance électorale qui s’est produite en Allemagne et pour la première fois depuis la fin du nazisme est tout sauf un épiphénomène.
« Une semaine après les régionales du 27 octobre 2019, dix-sept responsables du parti d’Angela Merkel en Thuringe avaient publié un appel réclamant des « discussions ouvertes » avec l’AfD, alors même que la CDU, lors de son dernier congrès, avait clairement interdit toute coopération avec l’extrême droite. « Il n’est pas concevable, dans une société libre, de ne pas discuter avec un quart de l’électorat », expliquaient les auteurs de l’appel, faisant référence aux 23,4 % obtenus par l’AfD dans ce Land de l’ex-Allemagne de l’Est, moins que le parti de gauche Die Linke (31 %), mais plus que la CDU (21,8 %). » (in « A la Une », journal numérique – 7 février 2020 – du quotidien Le Monde).
En 2002, Jacques Chirac avait refusé de débattre avec Jean-Marie Le Pen pour le deuxième tour : « Face à l’intolérance et à la haine, il n’y a pas de transaction possible, pas de compromission possible, pas de débat possible », avait-il expliqué.
En 2017, Emmanuel Macron accepta (rechercha ?) le débat avec Marine Le Pen, conférant ainsi au FN le statut de parti politique comme les autres. Et si la présidente du FN/RN a révélé, en tant qu’individu, qu’elle n’était pas à la hauteur de l’enjeu, cela n’a diminué en rien l’influence de son parti, comme on l’a constaté aux élections européennes d’octobre 2019 et comme l’indiquent encore les sondages actuels. Qu’en sera/serait-il la prochaine fois, si Emmanuel Macron est/était affaibli comme il l’est aujourd’hui ? Et quand quelqu’un de plus habile aura succédé à Marine Le Pen ?
L’argument de Jacques Chirac – quelles qu’aient pu être ses arrière-pensées – était pertinent : le débat est impossible parce que l’extrême-droite est, dans ce qui constitue son essence, l’expression – notamment électorale – des peurs individuelles et collectives. Pour compréhensibles et respectables qu’elles soient, les peurs ne sont pas des idées. Elles en sont l’antithèse. On ne débat pas avec les peurs. Ou on les épouse ou on les combat.
La question se pose alors du respect de l’expression du suffrage électoral, donc de sa signification.
Si toutes les voix ont la même valeur (chacune compte pour 1), ont-elles la même signification ?
Si l’on répond oui, on s’exonère d’une analyse pour un simple décompte arithmétique.
Si on répond non, sur quels critères s’appuyer pour procéder à des distinctions ?
Le dilemme apparent vient du fait que le vote a une fonction politique déterminante (la majorité, simple ou relative, accède au gouvernement) alors qu’il peut-être le symptôme d’une pathologie.
Dans certaines conditions extrêmes (politiques, sociales, économiques…), la dimension « foule » prend le pas sur la dimension « peuple » et la panique produit dans le domaine politique l’équivalent de ce qu’elle produit dans un lieu de rassemblement.
Quand ces conditions sont réunies, les petites machines des peurs individuelles se connectent pour créer une machinerie dont l’intensité mécanique d’emballement peut atteindre le seuil critique à partir duquel elle cesse d’être contrôlable.
C’est, pour le corps social, l’équivalent du cancer pour le corps biologique.
Il ne s’agit donc pas de savoir si l’on doit « discuter avec un quart de l’électorat » (qu’est-ce que peut bien vouloir dire « discuter avec un quart » ?) comme s’en justifient les dix-sept politiciens allemands, mais avec ceux qui, pour d’obscures raisons qui les regardent, ont besoin d’alimenter les peurs sans lesquelles cet électorat n’existerait pas.
Merci pour la lucidité de ce texte rappelant les faits expliquant qu’il ne s’agit pas d’un épiphénomène et le parallèle avec la situation française où ont lieu des rapprochements ( qui ne datent pas d’hier) avec une partie de la droite française.
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Merci. C’est un problème souvent parasité par ce qu’on appelle « la loi de Godwin » selon laquelle tout débat un peu long débouche sur le nazisme. L’inventeur de cette « loi » et ceux qui l’invoquent pour discréditer ont effectivement mis le doigt, sans bien s’en rendre compte et malgré eux, sur la réalité d’une constante humaine qui s’est manifestée sous la forme extrême du nazisme au 20ème siècle.
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