Journal 59 – le ciment – (07/06/2024)

Ce n’est pas un objet réservé aux cimentiers ou aux maçons. Parce que, s’il existe bien le ciment ordinaire (liant hydraulique), existe aussi le ciment métaphorique (liant qui est tout sauf hydraulique) : d’un côté, le calcaire, l’argile, le sable et l’eau pour faire tenir les murs, de l’autre,  tout ce qu’on peut imaginer pour faire tenir les relations humaines.

Pour E. Macron, les commémorations du débarquement du 6 juin 1944 sont censées être un ciment de ce type. D’où son discours qui – j’en ai écouté quelques extraits – se voulait épique et qui sonnait apprêté, artificiel, faux. A l’opposé, celui d’André Malraux pour le transfert au Panthéon des cendres de Jean Moulin.

L’état de la société française devrait rappeler à E. Macron que la commémoration, celle-là comme les autres – certains parlent de « devoir de mémoire » – n’a aucun effet thérapeutique : selon les derniers sondages, plus 30% de Français sont prêts à donner leur voix à l’idéologie chantre d’une identité mythique dont la figure réelle, dissimulée derrière les slogans de patriotisme et de priorité/préférence nationale est le « moi d’abord » névrotique et mortifère qui permit le développement de l’idéologie nazie. Les peurs et l’angoisse sont capables de tout, jusqu’à précipiter dans l’abîme pour conjurer le fantasme de la chute.

La commémoration concerne le commun, antinomique de cette idéologie, désormais orphelin d’un discours d’alternative au capitalisme incarné par un président inaudible.

Quel ciment possible ?

« Les religions cimentent-elles encore la société française ? », tel était l’intitulé de l’émission Le temps du débat du 04/06/2024.

Après que les spécialistes eurent rappelé l’effondrement de la croyance et de la pratique religieuse chrétienne, fut diffusé un document d’archive, un extrait de l’entretien (1971) entre le journaliste Pierre Dumayet  et  la religieuse Sœur Marie-Edmond – Françoise Vandermeersch – qualifiée en son temps de « religieuse rouge » et mise à l’écart par l’institution ecclésiastique pour ses positions progressistes (avortement, sexualité, place de la femme dans l’église…).

Voici :

« L’église est dans la réalité d’un peuple de Dieu qui essaie de retrouver une foi, une foi en Jésus-Christ et voir ce que ça veut dire et puis accepter de remettre ça en question. Les remises en question de l’église sont phénoménales. Je voudrais bien savoir quels sont les organismes actuels dans le monde qui remettent aussi fondamentalement leurs propres positions. Alors que ce ne soit pas fait suffisamment, je suis entièrement d’accord, et comme toujours, on exige toujours plus des gens dont on attend beaucoup . »

Le ciment de la religieuse n’est pas à proprement parler la foi en tant que telle, mais la démarche qui consiste à « retrouver une foi et voir ce que ça veut dire puis accepter de remettre ça en question ». Autrement dit, la démarche critique valant pour elle-même, donc cessant d’être un moyen pour être sa propre fin.

Déclaration émouvante dans ce qu’elle exprime d’inquiétude intellectuelle, et qui ne voit pas la paroi de la sphère où elle ne peut que se cogner.

Nous sommes en 1971, trois ans après mai 68, mois emblématique s’il en fut de l’utopie d’un commun sensible, généreux sans entraves jusqu’au « il est interdit d’interdire » si sympathiquement irresponsable et avant l’expérience d’un ersatz du commun sans âme à partir de mai 1981.  

Six ans avant cette déclaration de la religieuse, le concile Vatican II (1962-1965) avait été pour les chrétiens questionnant leur foi un mois de mai qu’ils retrouvèrent en 68.

Mai 68 se termina par l’élection d’une chambre réactionnaire et Vatican II par l’élection en 1978 de Jean-Paul II.

Ceux qui lisent le blog connaissent ma réponse : le seul ciment possible est celui du commun qu’est la fraternité de solitude.

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