Journal 36 – Le coup du lapin – (08/04/2024)

Comme tout le monde, il m’arrive d’avoir ce qu’on appelle « l’esprit de l’escalier », une expression inventée (apparemment par Diderot) pour dire non que l’escalier à un esprit, non, mais qu’on a manqué d’à-propos, qu’on n’a pas su répondre dans le temps où la réponse était pertinente, bref qu’on a trouvé ce qu’il fallait répondre à son interlocuteur seulement après qu’on a descendu l’escalier qui conduit chez lui (parce qu’il habite à l’étage). Voilà.

Avant de poursuivre, et m’appuyant sur le fait que l’expression est ontologiquement liée l’escalier (elle n’existe pas sans lui), j’émets hardiment l’hypothèse que voici : est-ce que ce manque de vivacité d’esprit ne serait pas le produit dérivé de cette invention scalaire (latin scala = escalier – on devrait apprendre le latin) ? Pour formuler l’idée de manière nettement plus terre-à-terre, je me demande si les hommes ne répondaient pas toujours du tac au tac quand leurs habitations étaient de plain-pied. Par exemple, la maison de Socrate n’avait pas d’escalier et ses dialogues ne se passent jamais en hauteur. Je n’insiste pas sur la hardiesse de l’hypothèse.

Quel rapport avec le lapin ?

Je m’explique.

Notre premier ministre dont certains mauvais esprits disent qu’il a un problème d’ego mal géré (allons donc !) vient de trouver la solution pour régler la question des rendez-vous médicaux non respectés : taxer de 5 euros ceux qui n’auront pas annulé le rendez-vous dans les 24 heures précédentes.

Le rapport entre l’escalier et le lapin qui donne son nom à cette taxe, c’est qu’il m’a fallu un peu de temps – j’ai calculé : en gros, celui qu’il faut pour descendre deux étages – pour trouver la répartie.

Oui, je confesse, et en plus à ma grande honte – j’ai eu une éducation judéo-chrétienne –, qu’en entendant l’information à la radio, ma première réaction fut celle de la pensée profonde qu’expriment les concepts  « ah ben tiens, oui, pourquoi pas, après tout, dans le fond, finalement, hé hé… etc. » qu’on échange le coude sur le zinc du Café du Commerce.

Ce matin, après avoir descendu mes deux étages, j’ai retrouvé mon esprit et me suis dit  : mais, qu’est-ce que suppose du comportement humain cette décision qui ne peut être que mûrement réfléchie puisqu’elle vient de la pensée primoministérielle (je ne suis pas sûr que le mot existe) ?

Elle suppose le paramètre rationnel : j’ai un rendez-vous chez le médecin, et je décide de ne pas y aller. Et toc ! Seulement, il y a un hic (mot latin = ici, pour signaler un point de difficulté – on devrait apprendre le latin) : si je le décide, là, comme ça, pourquoi je ne préviens pas ?

Est-ce que le discours que je me tiens est clairement : je décide de ne pas y aller,  ou bien est-ce qu’il est celui, si indistinctement formulé qu’il est à peine audible, de l’esquive ? Je mets ça dans un coin et j’oublie. La peur de ce que dira le médecin, oui, sans doute, mais aussi celle, plus profonde, enfouie du « j’annonce que je me dédis » qui conduit par exemple à ne pas annuler une réservation de restaurant. La couverture prétexte peut être « pas d’importance,  m’en fous, rien à br… (oh !) », mais le fond du fond, c’est bien l’esquive, l’esquive de ce qui est confusément perçu comme une déstabilisation de soi. Il n’est jamais simple d’entreprendre une démarche d’annulation.

Pour que fonctionne l’amende des 5 euros, il faut le calcul  : comment est-ce que je perds le moins ?

Dans le cas de l’esquive, le problème est et restera le mien : je vais devoir me débrouiller avec moi.

Dans le cas des 5 euros, c’est, (apparemment) simple : j’ai payé, c’est réglé.

Une expérience de cet ordre a été menée aux USA pour un problème analogue :  dans le but de réduire le nombre des parents en retard pour récupérer leur enfant à la crèche, les responsables d’un certain nombre d’entre elles ont décidé d’infliger une amende de 2 dollars par minute de retard. Résultat : le nombre des retardataires a doublé.

«  Frapper au porte-monnaie » n’est pas seulement un slogan qui donne l’illusion d’une solution, c’est aussi une vision sombre de l’humanité.

Le lapin, lui, n’a pas ce type de problème.

Sauf quand on le pose.

2 commentaires sur « Journal 36 – Le coup du lapin – (08/04/2024) »

  1. Attal n’a rien inventé. Il s’inspire probablement du lapin Etatsunien. Ironiquement je reçois à l’instant le message suivant de mon dentiste  » Please note that we do have a $25.00 cancelation policy, no show , or same day cancel ». Cette pratique est en vigueur pour tous les médecins, coiffeurs, restaurants, etc…. avec des tarifs variés.

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