Génération Z – en abrégé Gen Z – est le nom donné à ceux qui, nés il y a une trentaine d’années, manifestent aujourd’hui au Maroc, au Bangladesh, en Afrique de l’Ouest, à Madagascar, au Pérou, au Népal…
Z est aussi l’abréviation de zoomer qui évoque entre autres la rapidité caractéristique des écrans de l’Internet.
Le discours de la Gen Z n’a pas de structure ni de colonne vertébrale politiques, il est aussi bien progressiste que nationaliste et conservateur. « Pragmatique » disent certains analystes. Ce qui est visé n’est pas l’instauration d’un autre système économique et social, mais, dans les cas les plus aigus, l’équivalent du « Dégage ! » relatif (les rois du Népal et du Maroc ne sont pas mis en cause) des printemps arabes.
Ce discours est intéressant pour ce qu’il révèle de l’état de la société mondiale.
Il y a presque 60 ans, la jeunesse européenne était en ébullition et c’est en mai, à Paris puis dans l’ensemble du pays que le mouvement fut le plus puissant.
Ceux qui commencèrent à manifester étaient des étudiants et plus jeunes que la Gen Z. Ce qui les conduisit à dépaver les rues du Quartier latin, ce n’était pas le désarroi que crée l’absence de perspectives, mais le besoin d’ouvrir les fenêtres d’une société étouffante où, par exemple, le gouvernement du général de Gaulle cédant à la pression de l’Église catholique, censurait le film de Jacques Rivette La Religieuse, une adaptation du roman de Diderot. L’équivalent des conditions qui conduisirent Louis XIV à interdire le Tartuffe de Molière.
Les mots d’ordre furent d’abord d’une révolution d’utopie : « Il est interdit d’interdire », « Faites l’amour pas la guerre », « Sous les pavés la plage » invitaient à réaliser l’irréalisable, comme peut le chanter la poésie de « l’imagination au pouvoir ». Rimbaud n’était pas loin.
Si les usines s’arrêtèrent, si de Gaulle se rendit subrepticement en Allemagne pour s’assurer du soutien de l’armée, c’est qu’au bout, tout au bout des problèmes économiques et sociaux, il y avait l’hypothèse d’une alternative au capitalisme, le socialisme, voire le communisme. La peur exorcisée aux élections de juin – la droite obtint une victoire écrasante – le parti communiste représenté par un ancien ouvrier-pâtissier frôla la sélection pour le second tour de la présidentielle de 1969. Trois ans plus tard, la gauche s’unissait en proposant Le programme commun de gouvernement, avant que le parti socialiste ne prenne ses distances pour pouvoir remporter l’élection présidentielle de 1981. On sait la suite.
Le discours de la Génération Z est symptomatique du désarroi planétaire dont le langage n’utilise plus les mots du langage positif d’une utopie commune, mais ceux de la seule négation : « Dégage ! », qui renvoie au vide, est aussi le mot d’ordre de l’extrême-droite contre ceux qui n’entrent pas dans le cadre d’une prétendue identité nationale gravée dans le marbre.
Il ne s’agit pas de nostalgie. Au-delà de ses démesures du Quartier latin, Mai 68 fut un moment exaltant de notre histoire commune en ce sens qu’il permit une expression de ce que peut être le peuple.