L’invité de l’émission Questions du soir (France Culture – 18 h 15 – 6/11/2025) état l’historien américain Darrin McMahon, professeur au Dartmouth collège (New Hampshire) et auteur de l’essai « L’égalité, histoire d’une idée insaisissable ».
La journaliste introduit ainsi la discussion : « Si nous sommes capables de penser les inégalités (…) qu’en est-il de l’égalité ? Cette notion que l’on croit comprendre est plus insaisissable qu’il n’y paraît, ses contours n’ayant cessé de se transformer au cours de l’histoire. (…) Aujourd’hui, alors que les inégalités ne cessent d’augmenter les inégalités partout dans le monde, comment la réimaginer et surtout est-elle atteignable ? »
Les explications qui suivent sont des constats : la longue liste des inégalités (physiques, sociales, économiques etc.) témoigne de l’ampleur du problème posé par l’égalité que D. McMahon explique ainsi : « Pour égaliser quelque chose, pour faire des comparaisons, il faut les imaginer avant, donc c’est plus complexe [que le repérage des inégalités, très visibles], c’est pas là, ça commence dans notre tête, puis par-delà ces idées-là, nous créons une image sociale et ça devient réel. »
Bref, « On peut parler de l’égalité universelle mais elle n’est jamais universelle. »
Dès lors, la question, essentielle, mais elle n’a pas été posée, pourrait bien être : pourquoi l’idée d’égalité est-elle née dans la tête de l’humanité, et, précise l’historien, depuis l’époque des chasseurs-cueilleurs ? Corollaire : pourquoi pas dans la tête des animaux ?
Autrement dit, et si l’on pousse le questionnement jusqu’à la problématique : d’où vient l’insatisfaction humaine dont témoignent au niveau le plus caricatural les campagnes électorales ? Aucun candidat d’aucun parti ne dit jamais : je m’engage à ne rien changer, restons-en là, mais, au contraire : voici ce que j’améliorerai si vous votez pour moi, et en particulier pour corriger les inégalités.
Ou encore, pourquoi les sociétés animales sont-elles stables, qu’est-ce qui explique qu’elles, ont trouvé un équilibre – avec leurs inégalités – et pas les sociétés humaines ?
L’historien frôle la problématique en disant que Fraternité est la compagne d’Égalité, associée à Liberté dans le triptyque de la République française. Frôle, en ce sens qu’il ne pose pas la question de l’unité des trois mots.
Le champ de la philosophie n’est donc pas ouvert et c’est ce qui fait le plus souvent défaut à ce genre de discussion limitée à la description des phénomènes et à leur histoire.
J’ai expliqué ailleurs, dans le blog, comment ces trois mots sont l’expression de ce qui constitue la spécificité humaine objective : relativement au type de conscience de l’homme (à la fois biologique et psychique, de la mort) et à son discours (depuis l’âge de trois ou quatre ans), l’être humain sent et expérimente que sa liberté réside dans la construction d’un rapport avec cette double conscience, qu’à cet égard tous les êtres humains sans exception sont égaux, et que tous, sous ce rapport, sont des frères de solitude – mourir est une expérience incommunicable. Liberté Égalité et Fraternité ne sont donc pas des valeurs, mais des principes.
Ce réel conduit donc à la question de la gestion commune de cette spécificité que les sociétés n’ont toujours pas décidé de reconnaître.
Le discours récurrent sur l’insuffisance ou le mythe des « corrections des inégalités » (à l’école notamment) et l’interminable débat sur la fin de vie en sont des témoignages.
Ce déni a pour résultat la mise en œuvre de stratégies de contournement, le plus souvent délétères.