L’absence du questionnement

On la trouve dans l’épopée homérique (Iliade, Odyssée) qui ignore  : pourquoi ? Ulysse aurait pourtant des raisons de poser la question aux dieux : dix ans que les uns ou les autres lui dressent des obstacles sur le chemin du retour sur son île ! Job aussi, sur son fumier, mais lui ce serait Dieu à qui il l’adresserait.

Pourquoi ? c’est la question du sens. Mais pourquoi vous me faites ça ? auraient-ils pu demander. Ou alors : Non, mais qu’est-ce que j’ai fait ? Seulement, voilà : la question finit un jour ou l’autre par se transformer en un boomerang qui revient vous poser la question redoutable de vos choix, bref, de votre liberté. Et ça…

Homère et ceux qui ont écrit le Livre de Job (Ancien Testament) ne racontent pas l’Histoire de leur temps, ils racontent celle du petit enfant, de l’enfant que nous étions quand nous étions tout petits et qui ne disparaît pas quand nous sommes devenus grands. Il est toujours là, et il pointe son nez quand ça ne va pas bien et qu’il faut des réponses pour essayer de s’en sortir. Il est toujours là, oui, mais il n’est plus exactement l’enfant qu’il a été et l’adulte le sait bien qui sait aussi que construire des réponses n’est pas confortable.

Le plus commode, c’est quand même les réponses d’évidence  toutes prêtes, comme pour Ulysse le monde des dieux, pour Job le monde de Dieu et pour le tout petit enfant le monde de ses parents.

Deux exemples.

1 – Il y a eu récemment en Angleterre une agression au couteau commise dans un train. Le Monde en a rendu compte avant même que ne soient connus les détails. Il était alors question de deux Noirs.

L’adulte dit : attendons de savoir. 

L’enfant, lui, dit : non, inutile d’attendre, je sais déjà.

Attendre pour savoir, c’est courir le risque que les Noirs ne soient pas ceux qu’ils devraient être pour que tout soit bien en ordre. Les bons, les méchants, tout ça.

Les commentaires, nombreux, qui ont été envoyés au journal étaient rarement ceux de l’adulte. Et aucun de ceux qui avaient la réponse de l’enfant n’a publié un correctif d’adulte.

2 – Un article rend compte aujourd’hui de deux journées d’échange entre des usagers de l’école, à la demande d’une principale d’un collège confronté à la violence installée désormais dans la plupart des établissements scolaires. Ce dont rêvent certains profs, à en croire les témoignages, c’est… de pouvoir enseigner.

Une fois encore, des commentaires, nombreux, qui apportent les réponses habituelles : perte d’autorité, laxisme, classes surchargées, dégradation du statut de l’enseignant…

Aucun ne pose la question du « discours global d’enseignement », autrement dit celle de l’adéquation entre le contenu du savoir, la manière dont il est transmis et le public auquel il est adressé. On peut s’ennuyer ferme (il y a un verbe plus coloré, associé à un rat mort) en classe. Ce n’est pas nouveau. Mais avant, c’était « normal ».

L’enfant que l’adulte choisit pour parler à sa place, comme il choisit un outil,  dit : le prof ça devrait être le prof de l’autorité d’avant,  on punit ceux qui n’obéissent pas et pis c’est tout !

Bien sûr, il ne le dit pas comme ça, il fait des phrases qui ressemblent à des phrases adultes qui trouvent toutes les bonnes raisons qui permettent d’éviter ce que j’appelle… comment déjà ? Ah, oui, une problématique… Parce que, comme l’agression dans le train, c’est quand même mieux si chacun tient le discours et joue le rôle qui ont été définis une bonne fois pour toutes, comme Ulysse, Pénélope, Télémaque et les autres.

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