Littéralement« tourner le dos » (latin : tergum/vertere), donc ne pas affronter de face, user de détours.
En particulier par le choix des mots.
Par exemple, parler de guerre à propos de Gaza.
La guerre suppose des forces antagonistes luttant avec des armes et des structures analogues, qu’elles soient militaires et/ou économiques. A Gaza, si l’on voit bien l’armée israélienne, où est l’autre ? D’un côté, une structure d’État, des tanks, des avions, des drones, une infrastructure informatique, des troupes dénombrables. De l’autre ?
Le choix des mots n’étant jamais anodin, guerre permet de ne pas nommer ce qui est en cours.
L’action militaire israélienne menée à Gaza est une entreprise de destruction systématique non seulement d’un objet physique (la population, les maisons, les terrains cultivables) mais d’une idée, celle de l’existence même du peuple – dans le sens d’entité politique – palestinien.
Elle est le point ultime d’un processus mis en route après l’assassinat, en 1995, d’Yitzhak Rabin, premier ministre d’Israël – tué par un juif fondamentaliste – et qui a mis fin au processus initié par les Accords d’Oslo (1993). S’il ne pouvait être explicite, l’essentiel du contenu des Accords visait une décision sans laquelle aucune solution viable n’est envisageable, à savoir tourner la page de la Nakba : catastrophe de l’exil (1947) corollaire de l’installation géographique, dans la violence, de l’État israélien.
En d’autres termes, les accords permettaient de sortir de l’impasse de la question du responsable du commencement.
Mais ils n’abordaient pas la question essentielle, à savoir la question historique existentielle, principalement pour les juifs et Israël.
Cet assassinat fut en effet l’expression d’un refus enfoui, refoulé, de reconnaître l’existence du peuple palestinien, une reconnaissance qui offrait à l’État juif la possibilité de vivre sans la nécessité de la menace, autrement dit de n’être pas dans la problématique de la survie permanente.
Sinon, comment expliquer que la mort d’un individu, si important soit-il, ait pu ainsi mettre un point final à un accord pour un processus qui concernait deux peuples, et réactiver ainsi le schéma millénaire de la menace existentielle ?
D’une part, ce refus d’hier, passionnel et enfoui, que la poursuite du processus rationnel d’Oslo devait modifier, d’autre part, la volonté globale signifiée aujourd’hui par le retour et le maintien au pouvoir – grâce à l’extrême-droite – de B. Netanyahou, d’anéantir Gaza-palestinien et de rendre impossible un État en Cisjordanie via la colonisation sauvage, permettent de comprendre la nature de l’agression du 7 octobre et aussi pourquoi les carences de la défense israélienne ce jour-là n’ont pas conduit au renversement de B. Netanyahou.
Cette agression n’est pas, dans les faits, quels qu’aient pu être les intentions et le degré d’improvisation, un acte de guerre. Dans le moment où elle s’est produite, il n’y avait pas en face d’armée ennemie, ce qui peut contribuer à expliquer le déchaînement de violence. L’attaque, brutale, brève, massacrante, est, dans les faits, une razzia. Et si elle est une razzia, c’est parce que, du fait même des différences de structures fondamentales, le conflit qui dure depuis 80 ans n’est pas une guerre, ce qu’attestent les séquences de pierres jetées contre les tanks ou d’attentats-suicides.
L’entreprise israélienne de destruction initiée par le massacre du 7 octobre – dont Israël est coresponsable par les conditions d’émergence et de succès électoral du Hamas liées à la non-existence d’un État palestinien – nourrit l’antisémitisme. Elle est ainsi un mode – éminemment paradoxal, comme aux USA – d’expression du renouveau de l’idéologie fasciste mortifère. Autrement dit une course vers l’abîme.
Sont tout aussi coresponsables les démocraties européennes qui refusent de nommer ce qui est en cours à Gaza et aux USA, et qui, à propos de l’Ukraine et de l’agression russe, comme dans les années 1930 pour le nazisme, ne proposent pas un discours adéquat, l’analyse d’un processus.
Même carence en France, où, maintenant depuis quelques heures, et à la suite d’une déclaration de l’ex-première ministre caricaturale, qui a usé et abusé de la procédure politicienne pour faire passer la réforme des retraites, on essaie de faire croire que l’essentiel politique serait une suspension de cette réforme.
Le processus global en cours est une dégradation accélérée de l’ensemble des structures qui constituent notre commun social et politique.
Et celui qui occupe une place déterminante pour le discours politique, le président, mal élu par défaut et que ses amis quittent comme les rats le navire, ignore le nom commun et laisse à l’extrême-droite l’exploitation frauduleuse du nom peuple qu’il ignore également.