L’instant de ma mort – Maurice Blanchot – Bilan (1)

La lecture de ce texte m’a été suggérée dans le contexte de celle (format PDF) du roman Un hiver en Bretagne que je viens de terminer (je suis à la recherche d’un éditeur) dont un des thèmes – déjà traité dans le blog, notamment dans la série d’articles : Etats des lieux : ce que nous sommes, à partir du 02/09/2020 – . est celui de la mort, plus précisément de la distinction entre ce qu’est la mort et, pour chacun, sa mort. La confusion entre les deux conduit à énoncer le non-sens habituel que j’ai par exemple retrouvé dans la lecture d’une analyse du texte de Blanchot : « L’obstacle fondamental réside dans le fait que nous ne savons pas ce qu’est la mort, puisqu’elle ne peut être pensée que par la vie. » Nous savons très bien ce qu’est la mort : le cadavre. Ce que nous ne savons pas, c’est ce qu’est notre mort d’humain, mais dire cela revient au même non-sens, puisque, nous le savons, notre mort d’individu est la fin de la conscience propre à notre organisme. Un électroencéphalogramme plat. Le personnage central d’ Un hiver en Bretagne explique en quoi notre mort est le rien – pour le sujet concerné, la seule et unique chose dont tout discours est impossible – et en quoi la philosophie – telle qu’est pensée et écrite de manière à être si peu lisible et non enseignée – sert, non pas à rien comme on le dit parfois – on parle beaucoup des philosophes que lit une infime minorité, actuellement de Montesquieu, pour la séparation des pouvoirs –, mais au contournement de ce rien si difficile à accepter.

Notre mort à venir contient cette question redoutable : quand ? qui contient le fait de mourir.

Pour ceux qui sont intéressés, j’ai publié en 2013 La tectonique des plaques, un roman qui traite de cette question – un lecteur, souffrant de la même maladie que le personnage principal, m’avait dit avoir apprécié sa philosophie.

Le texte de Maurice Blanchot vise ce point. L’instant, c’est « ce qui se tient sur », ce qui menace, ce qui va arriver.

Ce qu’il y a de particulier, ici, c’est la coïncidence entre la connaissance de ce quand ? et le fait de mourir. La décision de fusiller le jeune homme n’est pas le résultat d’un procès, elle est prise dans l’instant. Une ou deux minutes, donc, entre l’annonce et l’exécution.

Que se passe-t-il dans l’esprit et le corps à ce moment-là ? En principe, il est impossible de le transmettre, surtout par écrit, sauf si l’exécution n’a pas lieu. Ce qui est le cas. Le jeune homme raconte donc, oui, mais cinquante ans plus tard. Autrement dit, c’est l’homme âgé de 87 ans – donc proche de l’instant de sa mort naturelle – qui raconte ce que fut pour ce jeune homme l’instant de sa mort provoquée.

La dernière phrase du texte « L’instant de ma mort désormais toujours en instance » signifie une permanence qui pourrait se traduire ainsi : depuis ce jour-là, j’ai toujours eu, présent en moi, l’instant de ma mort – ce qui serait le thème d’un nouveau livre : comment ai-je vécu, depuis le jour où j’ai, non pas failli mourir – l’expression vise plutôt l’inattendu de l’accident – , mais vécu l’instant de ma mort. J’ignore dans quelle mesure cette expérience constitue l’écriture de Blanchot après 1944.

La situation de Guy Môquet et Missak Manouchian (cf. article 1) fut différente en ce sens qu’ils connaissaient le moment de leur mort,  suffisamment tôt pour pouvoir écrire leur lettre. Qu’auraient-ils écrit si, dans l’instant de la fusillade,  comme pour le jeune homme, l’exécution n’avait pas eu lieu ?

Qu’est-ce donc, ici, qu’écrire un instant vécu cinquante ans plus tôt, forcément dans la perspective de l’instant qui va l’être dans un futur perçu comme proche ?

Tel est l’intérêt d’une telle démarche littéraire qui ne peut être qu’une réécriture.

Mais quelle réécriture ?

Ce sera l’objet du prochain et dernier article.

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