L’instant de ma mort – Maurice Blanchot (10)

Ce qui semble être le dernier paragraphe du texte – après une page blanche, il y en aura encore deux :

«  Demeurait cependant, au moment où la fusillade n’était plus qu’en attente, le sentiment de légèreté que je ne saurais traduire : libéré de la vie ? l’infini qui s’ouvre ? Ni bonheur, ni malheur. Ni l’absence de crainte et peut-être déjà le pas au-delà. Je sais, j’imagine que ce sentiment inanalysable changea ce qui lui restait d’existence. Comme si la mort hors de lui ne pouvait désormais que se heurter à la mort en lui : « Je suis vivant. Non tu es mort. » (15)

La construction de la première phrase pose encore la question de l’artifice. « Demeurait » est dans le temps (récit au passé) du paragraphe précédent : il revient, tout brûle à l’exception de sa maison, ce qui produit « le tourment de l’injustice » auquel s’oppose (« cependant ») la permanence du « sentiment de légèreté. » Autrement dit, « au moment où la fusillade n’était plus qu’en attente » n’apporte pas une information à « demeurait », comme la construction en impose la lecture, mais au « sentiment de légèreté » éprouvé « au moment où… »

Qu’apporte ce jeu syntaxique ?

S’il n’avait pas mis une virgule après « qu’en attente »,  l’ensemble, alors compact, « au moment -> traduire » devenait alors le sujet de « demeurait. » et, plutôt qu’un intellectualisme, c’était une phrase musicale.

Les questions qui suivent reprennent celles du début (article 4) – avec l’ajout de « Ni l’absence de crainte et peut-être déjà le pas au-delà » : « et peut-être déjà le pas au-delà. » : ce n’est plus ce que ressent le jeune homme qui va être fusillé, mais ce que remue dans sa tête l’homme âgé qui écrit pour réécrire : vivre l’instant de sa mort (37 ans) n’est pas penser (à) sa mort proche (87 ans) – et « peut-être déjà le pas au-delà » est le signe du discours connu de contournement. [« le pas » = celui de la marche – lire le négatif « pas au-delà » n’a pas de sens]. Certains racontent avoir « vécu » leur mort dans le cadre d’un choc, d’une anesthésie opératoire, évoquant un surplomb d’eux-mêmes, une grande lumière, un tunnel, alors que, et de toute évidence, ils ne pouvaient être, avec un outillage de perception modifié, que les vivants qui, ensuite, racontent avec l’outillage récupéré. Il n’y a de « pas franchi dans l’ au-delà » qu’avec la non-absence de crainte.

« Je sais j’imagine » est sous une autre forme la reprise du « Je sais – le sais-je » rappelé ci-dessus, l’expression la plus proche de « ce sentiment inanalysable ». Quant au changement produit dans « ce qui lui restait d’existence » j’y reviendrai dans la conclusion.

La dernière phrase « Comme si la mort hors de lui ne pouvait désormais que se heurter à la mort en lui : « Je suis vivant. Non tu es mort. » sonne juste, encore que le « comme si » me semble inadéquat, en ce sens que le heurt entre la mort et sa mort est un réel, comme l’indique l’importance du changement indiqué.

Il me reste donc à tourner la page.

2 commentaires sur « L’instant de ma mort – Maurice Blanchot (10) »

  1. ´ coïncidence. Alors que nous lisons avec beaucoup d’intérêt aux articles sur Blanchot, mon frère m’informe d’un évènement familial que j’ignorais. Notre oncle maternel, mort il y a plusieurs années, avec vécu une expérience assez similaire. Arrêté dans les derniers jours de la guerre pour avoir agressé un soldat allemand il allait être fusillé (avait même fumé sa dernière cigarette « au goût de cendres ») ) lorsqu’un officier l’a fait libérer puisque selon lui la guerre était déjà irrémédiablement perdue.

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    1. S’il y a d’autres confidences publiables, ce serait intéressant.
      Dans le contexte de la « normalité » et dans un tout autre registre – mais avec le sentiment de légèreté – les derniers moments d’Honoré Panisse (interprété par Charpin) dans, César, le troisième volet de la trilogie de Pagnol.

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