L’instant de ma mort – Maurice Blanchot (9)

Le jeune homme, collé au mur face aux fusils, qui a vécu sa mort dont l’accomplissement a été évité à la dernière seconde, « s’éloigna » – il ne court pas, c’est comme un ralenti – avant de retrouver « tout à coup (…) le sens du réel ». (article 8)

Nous en sommes là.

Et là, sans transition sous l’angle de cette reconnexion : « Même les chevaux gonflés, sur la route, dans les champs, attestaient une guerre qui avait duré. »(13)

Même, adverbe à valeur d’amplification. Mais, relativement aux incendies, et avec le paramètre du temps,  amplification de quoi ? Je dois dire que cette recherche de signification cachée est lassante, obscène même en regard du réel dramatique et tragique ; « attestaient une guerre qui avait duré » indique, avec une touche d’affectation ( des chevaux gonflés qui attestent…), une perception qui ne correspond pas au sens retrouvé de ce réel – le jeune homme que l’action des « camarades du maquis » a sauvé de la mort, ne peut pas être Fabrice* à Waterloo. |*Le très jeune homme, fasciné par Napoléon, parti d’Italie pour rejoindre l’empereur pendant les « cent jours », arrive à Waterloo le jour de la bataille à laquelle il assiste sans rien comprendre.] Que vient faire, en 1944, ce rappel de la durée, une sorte de pléonasme, que ce soit dans la tête du jeune homme ou celle de l’homme âgé qui écrit ?

La phrase suivante « En réalité, combien de temps s’était-il écoulé ? » qui semble établir un rapport avec le temps, long, nécessaire à la putréfaction d’un cadavre de cheval, est incompatible avec celui de l’événement ; et si en réalité est la suggestion d’un découplage entre perception du temps et sens du réel, je la trouve ici malvenue.

La suite – pourquoi le lieutenant a-t-il brûlé toutes les maisons mais pas « Le Château (immobile et majestueux) ? », la maison de la famille du jeune homme – permet une digression savante – que je trouve artificielle pour ne pas dire pédante – du côté de Hegel et Napoléon : « Sur la façade était inscrite, comme un souvenir indestructible, la date de 1807. Était-il assez cultivé pour savoir que c’était l’année fameuse de Iéna, lorsque Napoléon, sur son petit cheval gris, passait sous les fenêtres de Hegel qui reconnut en lui « l’âme du monde », ainsi qu’il l’écrivit à un ami ? Mensonge et vérité, car, comme Hegel l’écrivit à un autre ami, les Français pillèrent et saccagèrent sa demeure. » (13,14)

La gêne, ici, vient de l’inexactitude de culture, puisqu’il y inclut la connaissance des dates : Iéna, ce n’est pas 1807, mais 1806. Quant au contraste Napoléon / petit cheval gris… Bon.  Et quel rapport entre l’idée de « l’âme du monde » (pour Hegel qui croit en un sens de l’histoire qui s’exprime par le jeu de la dialectique, Napoléon accomplit, comme malgré lui, une œuvre dont il n’a pas la claire conscience) et « mensonge et vérité » à propos du pillage de la maison du philosophe ?

« Enfin il [le lieutenant nazi] partit. Tout brûlait, sauf le Château. Les Seigneurs avaient été épargnés. Alors commença sans doute pour le jeune homme le tourment de l’injustice. Plus d’extase ; le sentiment qu’il n’était vivant que parce que, même aux yeux des Russes, il appartenait à une classe noble. C’était cela la guerre : la vie pour les uns, pour les autres, la cruauté de l’assassinat. »

C’est, et même sous la neutralité du constat, ou dans la tonalité de l’ironie dirigée contre soi, (en fait, une interprétation à résonance ambiguë) un paragraphe faible – y compris le cliché de la dernière phrase, même avec l’affichage d’une distanciation somme toute banale.

Est- ce que j’ai bien fait comprendre que je n’apprécie pas ces deux pages ?

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