Les soldats du peloton ne sont pas les Allemands supposés.
« Mais voici que l’un d’eux s’approcha et dit d’une voix ferme : « Nous, pas allemands, russes », et dans une sorte de rire : « armée Vlassov », et il lui fit signe de disparaître. »
C’est un récit de forme évangélique [Entre autres, et pris au hasard : « Et voici qu’un lépreux étant venu, l’adorait, disant : Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier. (…) Et voici qu’on lui présenta un paralytique couché sur un lit. Et Jésus voyant leur foi, dit au paralytique : Prends courage, mon enfant, tes péchés te sont pardonnés. Et voici que quelques-uns des scribes disaient en eux-mêmes… » etc. (Matthieu, 5 – 8,9)] dans lequel le soldat joue le rôle du sauveur.
La phrase qui commence le paragraphe suivant est à nouveau source de gêne : « Je crois qu’il s’éloigna, toujours dans le sentiment de légèreté, au point qu’il se retrouva dans un bois éloigné, nommé « Bois des bruyères », où il demeura abrité par les arbres qu’il connaissait bien. »
Blanchot ponctue avec la même précision que le peintre dépose une touche de couleur.
La virgule après « qu’il s’éloigna » fait de cette proposition l’objet de « Je crois » (et de « toujours dans le sentiment de légèreté » un non-essentiel), donc un illogisme : l’éloignement, condition sine qua non de la survie, ne peut pas être une « croyance » mais une certitude d’évidence confirmée du reste par la fin de la phrase et le paragraphe suivant.
Oui, je peux aussi ne pas faire de la virgule la pause que je dis, donc ne pas laisser tomber la voix, même légèrement, mais au contraire la laisser en suspension, à la même hauteur, comme pour souligner l’importance de ce qui va suivre. Il y aurait eu, possible « Il s’éloigna, je crois, dans le sentiment… » qui affirmerait clairement l’essentiel du sentiment de légèreté.
Alors, je relis ce qui est écrit pour lire ce qui, entre les deux virgules, n’est pas une parenthèse, mais l’expression émotionnelle et rythmique, pour ainsi dire physique du sentiment à l’origine de cet état second qui produit « au point qu’il se retrouva ».
Mais je n’aime pas le verbe croire qui n’est un outil ni de pensée, ni de création littéraire. Même dans ce contexte tragique que la recréation permet de tolérer, l’homme âgé ne peut pas croire que le jeune homme s’éloigna, même si c’est comme Jésus sur les flots ou dans ses lieux de solitude.