Le billet d’humeur (6 h 57 – 12 septembre – sur l’application France Culture) de l’animateur des Matins de France Culture a suscité une forte protestation dont a rendu compte la médiatrice de Radio France. (Un entretien où il tente de s’expliquer est également disponible sur l’application).
La protestation vient de l’analogie qu’il propose dans ce billet d’humeur entre le « Je suis Charlie » du massacre de l’équipe rédactionnelle de Charlie Hebdo – 7 janvier 2015 – et le « Je suis Charlie » de l’assassinat de l’influenceur Charlie Kirk, un des porte-voix de D. Trump et du mouvement MAGA.
Extrait de ce billet où il justifie le rapprochement. « Charlie Hebdo est un journal satirique qui revendique le droit à l’humour mais cet humour n’est pas compris par tous. Beaucoup ont estimé qu’il s’agissait d’un humour violent, au style menaçant. Charlie Kirk a pris des positions honnies par la gauche, anti-trans, masculiniste, ultra-conservateur mais il n’a enfreint aucune loi américaine et était ouvert au dialogue même s’il avait plus d’un tour rhétorique dans son sac. Si nous sommes encore capables de dialoguer, c’est que c’est la parole qui domine, et la parole, aussi dure soit-elle, n’est pas la violence (…) Le vrai Charlie se bat pour l’opinion de l’autre et donc désormais le « Je suis Charlie » doit se conjuguer au pluriel ou bien se taire à jamais. »
C’est quand même étonnant de confusion.
1 – « Charlie Hebdo est » / « Charlie Kirk a » : d’un côté une identité (journal satirique), de l’autre une action (a pris des positions). Pourquoi pas l’identité pour le deuxième Charlie ?
2 – « positions honnies par la gauche » : est-ce que le discours politique d’exclusion, de stigmatisation et de haine – tel est bien le discours de D. Trump que prononce Ch. Kirk – est irrecevable par la seule gauche ? Le pape François avait dit son désaccord. Et est-ce que Ch. Kirk a « pris des positions » ou bien est-ce qu’il mène un combat idéologique et politique pour apporter de l’eau au moulin du pouvoir de D. Trump ? Charlie Hebdo, lui, crtique, à sa manière, tous les pouvoirs.
3 – « il n’a enfreint aucune loi américaine » est un argument de juriste alors qu’il s’agit d’un problème idéologique et politique. Dans ses campagnes électorales, Hitler n’avait pas enfreint les lois allemandes.
4 – « il était ouvert au dialogue » n’est pas corrigé par « le tour rhétorique dans son sac » qui ajoute au contraire le sourire adressé aux prestidigitateurs. (cf. Platon et les sophistes).
5 – « Si nous sommes encore capables de dialoguer, c’est que c’est la parole qui domine et la parole, aussi dure soit-elle, n’est pas la violence. » Là, c’est le délire ou le déni. Est-ce qu’il a oublié la radio des Mille collines au Rwanda ? Par ailleurs, le dialogue suppose un objet à discuter et un échange d’idées. Voici quelques-unes des citations de Ch. Kirk, trouvées sur Internet. « Cela arrive tout le temps dans l’Amérique urbaine, des Noirs rôdent pour s’amuser en visant des Blancs, c’est un fait. Cela arrive de plus en plus. » « Si je vois un pilote noir, je vais me dire : “Bon, j’espère qu’il est qualifié.” » « Elles [les femmes noires] sortent en disant : “Je suis là seulement grâce à la discrimination positive.” Oui, on le sait. Vous n’avez pas la capacité intellectuelle pour être prises au sérieux autrement. Vous avez dû voler la place d’un Blanc pour être considérées un minimum sérieusement. » « Nous avons fait une énorme erreur quand nous avons adopté la loi sur les droits civiques au milieu des années 1960. » « Le Parti démocrate soutient tout ce que Dieu déteste. » etc. Ce copié-collé du discours de D. Trump est-il prononcé en vue d’un dialogue calme et paisible ou est-il une incitation à la violence ?
5 – « Le vrai Charlie se bat pour l’opinion de l’autre » Une formule bizarre sans doute inspirée par celle qu’on prête à Voltaire, mais qu’il n’a jamais prononcée « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire » même si elle lui correspond. La question que posent cette position et cette phrase : se battre jusqu’à la mort pour une « opinion » qui n’est pas la sienne, suppose qu’elle concerne un essentiel. Quel peut-il être sinon le contraire de ce qu’exprime cette affirmation à savoir la tolérance, le respect de l’autre, l’absence de discrimination etc.
Et, ça, la haine, la discrimination, le racisme, ça ne se discute pas, ça se combat.