Bloquer

« Bloquons tout le 10 septembre ! ».

Le mot d’ordre pose deux questions essentielles (D’où vient-il et que signifie-t-il ?), la troisième (Et après ?) dépendant des deux premières et de ce qui se passera le 10.

Il a émergé en mai d’une mouvance souverainiste et pris de l’ampleur en juillet après les annonces budgétaires du gouvernement, si bien qu’il recueille aujourd’hui l’approbation d’une grande partie de ce qu’on appelle l’opinion générale. Les organisations syndicales ont fini par apporter un soutien très modéré et décidé une journée d’action le 18 septembre pour tenter de donner une structure à un mouvement de masse qui s’apparente plus ou moins à celui des Gilets Jaunes. Seule des forces politiques représentées à l’Assemblée nationale, LFI appelle à participer au mouvement.

Le contenu : « On arrête tout. Contre le plan Bayrou. Contre l’austérité. Pour la justice sociale. Boycott. Désobéissance. Solidarité. » couvre un champ si large qu’il peut, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, convenir à tous ceux qui ne soutiennent pas le gouvernement.

Bloquer, c’est arrêter mais l’arrêt n’est pas une fin en soi. On bloque pour repartir. Mais où ?

Bloquer tout, c’est la grève générale qui ne dit pas son nom pour un mot d’ordre sans analyse ni porte-parole, c’est donc un acte qui se situe en-dehors même des normes de contre-pouvoir établies pour des actions visant à changer les normes imposées par le pouvoir. C’est, au sens strict, un acte anarchiste, contre le pouvoir et ses contre-pouvoir.

La dialectique oppose donc, d’un côté le pouvoir et les contre-pouvoir réunis dans la sphère du « fonctionnement » global de la société, de l’autre un mouvement (voulu, espéré ou craint) de masse indifférenciée qui veut bloquer ce fonctionnement. 

Qu’il ne soit pas rejeté par les organisations politiques et syndicales donne une idée de ce qu’il signifie : si une structure soutient – même du bout des lèvres – un mouvement qui la refuse, c’est qu’elle ne dispose plus de ce mouvement, autrement dit qu’elle est elle-même bloquée.

De ce point de vue, le blocage et les bloqueurs du 10 septembre seront, plus qu’une métaphore, la représentation physique du blocage présenté comme celui du pouvoir politique et dénoncé comme tel.

Et même si l’expression physique, visible, de ce mouvement n’est pas puissante et durable comme a pu l’être celle des Gilets Jaunes, qu’elle suscite une large approbation, même diffuse, même confuse, et qu’elle occupe une telle place dans les médias qui paraissent parfois en rendre compte comme malgré eux, est en soi le signe de l’importance du problème ainsi posé.

La seule appréciation de cette force selon les critères quantitatifs habituels ne peut que conduire à mésestimer l’importance de la pulsion du repli sur soi qui est à l’origine du mouvement et dont le RN qui se présente comme l’antisystème est l’incarnation électorale.

Le blocage fonctionnel effectif du gouvernement et de l’Assemblée nationale est l’expression de la misère du peuple politique orphelin du discours du commun dont aucun parti n’a encore décidé de mettre sa redéfinition au cœur du débat. Il est peu probable que les bloqueurs aient conscience de l’enjeu.

La résolution de la dialectique risque donc d’être escamotée par une réponse politicienne du « système » – après le refus du résultat électoral, une nouvelle dissolution si le gouvernement tombe, le 8 – qui fera le jeu du RN.

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