J’ai quitté un instant mon dernier (?) article sur Œdipe Roi pour jeter un coup d’œil au numéro du Monde numérique d’aujourd’hui. En particulier, un article consacré aux films français en compétition au festival de Venise. Une adaptation par François Ozon de L’Étranger d’Albert Camus en fait partie.
Voici ce qu’il dit : « Tout le monde me demandait : « Alors, maman est morte », tu vas le mettre où ? Je me suis dit que le seul moyen de déjouer cette attente, c’était que la première phrase de Meursault soit : « J’ai tué un Arabe ». Pour moi c’est ce qui ressort de plus choquant quant à la lecture d’aujourd’hui. »
Je n’ai évidemment pas vu le film, mais cette déclaration semble annoncer un contre-sens. La problématique du roman n’est ni le colonialisme ni le racisme (l’action se passe à Alger, Meursault, le personnage principal, tue un Arabe) qui ne sont que des éléments supports du récit. Le livre a été publié en 1942 et « la lecture d’aujourd’hui » n’a pas à en modifier la problématique : la possible absurdité des critères de la vie sociale, notamment dans le contexte de ces années-là.
Ce n’est pas « maman est morte » qui compte, mais la manière dont est relaté l’événement :
« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. »
L’essentiel est dans la juxtaposition qui sert à exprimer l’absence d’émotions, et, en regard de la gravité « obligée » de la mort de la mère, l’ambiguïté de « Cela ne veut rien dire ».
Tout le reste – les obsèques, la relation avec Marie (mariage), Raymond (proxénétisme), le meurtre, le procès, la condamnation à mort et la représentation de l’exécution – est un moyen de construire la problématique du sens.
C’est en quoi mettre le meurtre de l’Arabe au premier plan revient à tordre le texte pour le faire entrer dans un cadre qui n’est pas celui de Camus.
Je retourne vers Œdipe Roi… où le même problème s’est posé.
L’Étranger étant sous une apparence de simplicité l’un des romans les plus commentés et les plus complexes, je ne suis pas choquée qu’une adaptation cinématographique (après celle de Visconti) choisisse un nouvel angle, peut-être dans la lignée du livre de Daoud « Meursault, contre enquête » qui répond à l’Etranger en donnant un nom à l’Arabe. RH me rappelle d’ailleurs que si Meursault est jugé coupable, mais pas vraiment pour son crime, sa condamnation à mort a aussi le mérite d’humaniser cet Arabe sans nom.
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