Sophocle – Œdipe Roi – 20

Il y a donc ce berger témoin qu’il faut aller chercher au fond de sa campagne où, après son retour du carrefour sanglant, il a supplié Jocaste de le renvoyer pour garder ses moutons.

Œdipe explique à Jocaste que s’il redit devant lui que ce sont des brigands qui ont tué Laïos, il est sauvé, mais que si, au contraire, il dit que l’agresseur est un homme seul, il est perdu.

Seulement, voilà : tout le monde, dans les gradins, sait qu’il est celui qui a tué Laïos, tout le monde sait qu’il le sait lui-même au moins depuis que Jocaste a évoqué la ressemblance des deux hommes [« Ah, c’est évident… » (cf. article 19)], et tout le monde a également bien compris que la supplication du berger n’était pas innocente.

Depuis le début, la parole divine – oracle, Tirésias – est mise en cause dans le cadre du théâtre, les discours de Jocaste et du chœur en ont fait aussi un sujet de questionnement pour les spectateurs, la parole de Créon-messager-d’oracle a rendu inaudible celle de Créon-beau-frère, bref, tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes oraculaires possibles.

A partir du moment où Œdipe a compris, la tragédie quitte la sphère dans laquelle la parole ambiguë du dieu fait croire aux hommes qu’ils sont irresponsables, pour une horizontalité où lui sera désormais substituée – dans le cadre du théâtre et de manière prudente, très prudente – la parole de l’homme responsable.

Pour commencer, et dans le cadre de l’enquête, la parole de deux hommes : d’abord celle, inattendue, d’un messager de Corinthe, puis celle, attendue, du berger-témoin que Sophocle fait arriver juste après – comme on dit, « il a du métier ».  

Ce sera le début du troisième épisode.

Le second se clôt sur une double déclaration de Jocaste :  une nouvelle fois, elle critique la fiabilité de l’oracle, puis, après annoncé qu’elle envoyait chercher le berger, elle déclare à Œdipe : « Entrons chez nous. Il n’est rien qui soit aimé de toi que je ne sois prête à faire. » (862)

Est-ce que les spectateurs s’interrogent du regard pour savoir ce qu’elle entend par là ?

Le chœur intervient alors dans une double suite de strophes et d’antistrophes aussi intéressantes que sont significatifs d’un esprit académique borné (dans le sens premier de borne : pierre qui sert à marquer les limites, qui sert de repère) les commentaires du traducteur de Budé.

(à suivre)

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