Sophocle – Œdipe Roi – 16

La sortie de Créon est précédée d’une strophe – mouvement du chœur sur un côté de l’orchestra – où, à la suite de Jocaste, les choreutes et le Coryphée tentent de fléchir Œdipe qui se résout donc à laisser partir son beau-frère, et elle est suivie d’une antistrophe – mouvement sur l’autre côté – où est établie la coresponsabilité de Créon et d’Œdipe quant à la dispute qui les a opposés.

C’est à la suite de ce double mouvement dialogué du chœur que Sophocle expose l’élément central de la problématique de la pièce : les problèmes sont humains et, comme celui qui est posé dans le cadre d’un conte, ils ne sont pas du ressort de l’oracle, mais des hommes. Problématique très délicate à présenter puisque la pratique de l’oracle n’est pas du domaine du conte, mais du réel.

Voici comment il s’y prend.

Le chœur termine ainsi l’antistrophe : « Puissant Œdipe, je l’ai dit et pas seulement une seule fois, sache que je me révélerais sans pensée* et sans accès à une pensée* si je m’éloignais de toi, toi qui as poussé mon pays que j’aime avec un vent favorable quand il était dans la tourmente. Aujourd’hui, sois, si tu le peux, celui qui le conduit avec bonheur. » (689 -> 696)

*dans ce même vers (690) : deux mots composés à partir de phrèn ( =la pensée), une nouvelle fois la référence au sauvetage de la cité par la pensée – il n’est pas inutile de le rappeler, Œdipe a bien précisé qu’il ne sait rien de la divination – et, de nouveau la sollicitation pour un sauvetage analogue.

C’est le personnage de Jocaste que Sophocle va utiliser pour exposer son discours.

En préambule, il lui fait commencer son dialogue avec Œdipe par un salutaire « Au nom des dieux ! » (698). Comprendre : je me couvre.

L’évacuation de l’oracle commence par quelque chose qui est de l’ordre du clin d’œil adressé aux spectateurs.

Jocaste demande à Œdipe (et le libellé de la question est très intéressant) – je traduis toujours au plus près : « Parle, [de manière qu’on se rende compte] si tu parleras clairement* accusant quant à la querelle. » = si tu diras clairement quelle est la cause de la querelle.

* la précision est importante : il ne s’agit pas seulement pour Œdipe de dire quelle est l’origine de la querelle, mais de dire clairement ce qui l’a opposé à Créon.

Et il répond : « Il déclare avoir établi que je suis le meurtrier de Laïos » (703)

C’est clair, oui, mais c’est faux : le spectateur se rappelle très bien que c’est Tirésias, et non Créon, qui a accusé Œdipe.

Ce que signifie Sophocle par cette « erreur » (du point de vue psychologique, elle se justifierait par l’animosité… même si à ce moment-là, Œdipe n’est plus dans l’orgè), c’est l’évacuation de Tirésias. Et elle est encore plus radicale quand, à la question de Jocaste [« Il (Créon) l’a appris de lui-même ou l’a-t-il appris d’un autre ? » 704], Œdipe répond : « Il a envoyé un devin malfaisant » (705)

Le devin qui a disparu physiquement de la scène est désormais disqualifié (manipulé par Créon) et moralement exclu (il est mauvais).

Le préambule finit sur cette exclusion totale.

Commence alors le discours de Jocaste qui, je le disais, expose la problématique.

(à suivre)

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