Sophocle fait ensuite tenir à Créon un long discours dans lequel il démontre que l’accusation de complot ne tient pas. Il explique d’abord à Œdipe pourquoi il n’a aucun intérêt à prendre sa place, puis il lui propose de le mettre à mort si les prêtres de Delphes ne confirment pas l’exactitude de son rapport.
La démonstration est convaincante au point qu’on se dit : bon, cette fois Œdipe va reconnaître qu’il délire, d’autant que le Coryphée approuve la démarche et l’invite gentiment à reconnaître son erreur.
Que répond Œdipe ? Qu’il doit agir plus vite que le traitre qui agit dans l’ombre.
Créon lui demande alors s’il désire l’exiler, et il lui répond : « Pas du tout : que tu meures, non que tu t’enfuies, voilà ce que je veux. » (623)
Le dialogue se poursuit ainsi – je traduis au plus près du texte qu’entendaient les spectateurs :
Créon : Après que tu m’auras expliqué la nature de ta malveillance.
Œdipe : Tu ne cèdes pas et tu ne me crois pas, c’est ce que tu dis ?
Créon : Je vois bien que tu n’as pas ta faculté de penser.
Œdipe : Je pense à ce qui me concerne.
Créon : Mais il faut de la même manière penser à ce qui me concerne.
Œdipe : Mais tu es mauvais de nature.
Créon : Et si tu ne comprends rien ?
Œdipe : De même il faut obéir.
Créon : Pas à celui qui commande misérablement.
Œdipe : Ô Cité ! Cité !
Créon : La cité m’est attribuée à moi aussi, pas seulement à toi.
Le Coryphée : Arrêtez, vous les puissants* !
*anax (=maître, chef, roi) doit être traduit par un nom qui convienne à celui qui détient le pouvoir (Œdipe) et à celui qui y est associé (Créon).
Le Coryphée est positionné entre le chœur (= expression des affects ici produits par le dialogue) et les deux acteurs (= le tragédie théâtrale). Son cri exprime le malaise que génère ce dialogue détraqué et que le chœur doit exprimer sur l’orchestra par une réaction physique collective plus ou moins manifeste, comme doit l’être celle du public face à ce qui s’apparente à du chaos.
Après son adjuration, le Coryphée annonce aussitôt l’arrivée de Jocaste, épouse et mère (elle ne le sait pas encore) d’Œdipe, et sœur de Créon.
C’est le tournant de la tragédie en ce sens que son concours dans la pièce va mettre fin au délire* et faire du problème à résoudre une affaire humaine.
* Mantis (le devin), manteia (la divination) sont vraisemblablement formés à partir de la racine men (l’esprit, la pensée) d’où viendrait le verbe mainein : rendre fou.