L’émission Questions du soir (France-Culture 25/06/2025) fut introduite par cette citation extraite du rapport de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme : « Le racisme reste profondément enraciné en France, dans les actes, les discriminations ordinaires, les discours de haine en ligne et dans la vie réelle. »
L’invité, Michael O. Hardimon, professeur de philosophie à l’université de Californie à San Diego propose de distinguer : la race comme construction idéologique à rejeter, comme construction sociale à analyser, comme réalité visible liée à l’ascendance, et comme catégorie populationnelle non hiérarchique. (cf. la page d’accueil de l’émission)
Dit plus simplement : utiliser le mot race sans qu’il signifie racisme.
Il y a au moins deux questions.
La première est d’ordre linguistique (cf. l’intitulé de l’article). Un mot a une dénotation et une ou des connotations. Par exemple, noir dénote une couleur et connote, entre autres choses, le deuil social, du moins chez nous.
Race dénote initialement une classification, des catégories, (la race humaine, la race animale) et connote une hiérarchie, à tel point que la connotation a fini par se substituer à la dénotation de manière que « raciste » ne renvoie jamais à la dénotation initiale et que « racisme » est, chez nous, un délit.
Cette première question que pose nécessairement la proposition de M. Hardimon conduit à une seconde question, qui n’est plus strictement linguistique : pourquoi et pour quoi entreprendre une telle démarche, dans la mesure où l’entreprise paraît quasiment impossible, non seulement à cause du poids de l’histoire du mot, mais encore parce que le racisme est toujours actuel. En d’autres termes, et pour prendre un exemple très simple, est-il envisageable de parler de « race noire » sans que rappliquent au grand galop les connotations hiérarchiques évoquées plus bas ? D’autant que, si l’on veut accompagner le philosophe dans sa démarche, il est possible d’utiliser « population », noire, blanche etc. un mot qui n’a pas les connotations du mot race.
Les intentions de ce philosophe sont « pures » en ce sens qu’il n’y a pas d’ambiguïté dans son discours. Mais la pureté des intentions n’évacue pas le problème.
Quand un intervenant lui demande dans quelle mesure l’entreprise est réalisable, il répond qu’il parvient très bien à parler de race avec ses étudiants en évacuant la racialisation.
Oui. Dans la salle de cours de l’université, d’accord. Mais, en-dehors de cet espace ?
Je répondrai à mes deux questions par cette troisième : est-ce qu’il ne s’agit pas au fond d’une démarche d’intellectualisme pur qui vise à exorciser un mot, en ne voyant pas ou en oubliant ce qu’il recouvre, c’est-à- dire un déni ?
M. Hardimon explique très bien que racisme est un sous-ensemble de xénophobie (= la peur de l’étranger et son corollaire de haine). Autrement dit, le racisme est une forme de la xénophobie. Si je suis raciste, c’est parce que j’ai peur de l’autre et que j’utilise une différence d’apparence (la couleur de la peau, par exemple) pour en faire un essentiel (noir = absence d’âme, infériorité intellectuelle etc.). Mais la xénophobie qui contient le racisme, d’où vient-elle ? Qu’est-ce qui fait que j’ai peur de l’autre ? Ce qui fait que j’ai peur de l’autre en tant qu’il est autre, c’est qu’il n’est pas moi, qui, par exemple, suis blanc, chrétien, intelligent etc. Cf. « Comment peut-on être Persan ? » (Montesquieu). Et on sait très bien que derrière tout ça, le racisme et la xénophobie, c’est la mort, ma mort qui est en embuscade : je déverse sur l’autre, l’étranger, celui qui est si peu comme moi, toute mon angoisse, comme ça je ne meurs pas. Oui, c’est débile. Le racisme est débile.
Je dirai donc que la démarche du philosophe trouve son origine dans le désarroi planétaire actuel et qu’elle manque la cible.