Le Monde des Livres (19/06/2025) propose à sa Une « Moscou, avec les écrivains patriotes » : organisé à Moscou dans le cadre de la célébration du 80ème anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie, un salon littéraire intitulé « Nos Héros » expose les livres écrits à la gloire de la Russie et des soldats russes combattant en Ukraine*.
Florilège de déclarations d’auteurs interviewés par le journaliste : « L’Ukraine forme un seul peuple avec la Russie, mais elle a été déviée vers d’autres voies qui lui promettaient le changement. Illusions… » « Notre opération spéciale en Ukraine contre la renaissance du fascisme permet de souder le pays. » « Notre victoire ce sera quand nous célébrerons notre union retrouvée avec les Ukrainiens » « Les Ukrainiens sont nos frères, pas nos ennemis ! » « Comme Albert Camus, je suis un existentialiste, attaché à mes racines chrétiennes, prêt à me battre pour mes idées, résolu à écrire sur la responsabilité et la mort. » « Moi, j’écris sur l’amour. Je suis allées lire mes poèmes aux soldats sur le front. Ils ont adoré. La poésie c’est la vie et le cœur. »
En face de ces proclamations littéraires de fraternité : plus d’un million et demi de morts et blessés de part et d’autre, des zones dévastées.
Comme, à la différence de l’Allemagne nazie en 1941, l’Ukraine n’a pas envahi la Russie et ne menaçait pas de l’envahir, il faut imaginer un « quelque chose » qui permette d’inscrire l’invasion russe dans le discours justificatif de la Grande Guerre Patriotique – l’existence même de l’URSS était alors en jeu – et rende possibles ces déclarations.
« Donetsk [sud-est de l’Ukraine], déclare un des écrivains, est l’épicentre d’une guerre mondiale frontale : fascisme contre christianisme, Ouest contre Russie. »
Autrement dit, comme le fut « URSS », mais dans un contexte différent (il s’agissait de survie) « Russie » est enveloppée par une idéologie qui, tout comme dans les années 40, n’est pas présentée comme telle, mais comme l’expression du réel : en 1941, la phase historique de la construction du socialisme/communisme (= l’émancipation de l’humanité – ce qui explique en partie l’aura de Staline), en 2023, sous le couvert de défense de valeurs (christianisme) et dans la confusion propre au chaos (le christianisme est un marqueur de l’ouest), le déni du commun que signifie la recrudescence de l’idéologie d’extrême-droite dont témoigne la tendance politique planétaire actuelle (Trump, Poutine, Milei, Meloni, Orban, Netanyahou et les succès électoraux en Europe …)
Ce déni du commun et son corollaire (moi d’abord, préférence nationale) constituent le substrat du discours fasciste dont le racisme est une des expressions, autrement dit le refus de « l’autre » selon les critères pragmatiques du bouc-émissaire (juif, arabe, noir, musulman, immigré etc.).
Ce qui est nouveau, c’est l’obsolescence des repères habituels, dont la politique israélienne, engagée dans une sorte de shoah palestinienne à Gaza et en Cisjordanie (massacre, famine, expulsions…), est, avec celle des USA qui la soutient – jusqu’à l’extension de la guerre via l’Iran ? –, le signe le plus remarquable.
* Quelques titres de romans russes : Le missile est lancé ! – Le Bélier blindé du Donbass – La gloire du guerrier – Le sacrement au front
Quelques extraits de poèmes :
« Je regarde s’envoler les Migs et les Soukhoï
Notre technique miraculeuse
Ces oiseaux magiques ! »
« Aujourd’hui, nous parton à l’assaut de Paris
Demain, ce sera Berlin. »
Quant au « cher fiston » il se bat « pour nous, pour la Russie, pour Dieu ».