Journal – 56 – Lettre à Quentin Lafay – (15/06/2025)

Bonjour, Monsieur Lafay

Je vous ai entendu annoncer des débats sur France Culture, dont un chez vous, concernant le conflit Israël/Palestiniens, notamment ce qu’il se passe à Gaza.

Je vous soumets cette problématique : que suppose, chez l’une et l’autre parties, plus de quatre-vingts ans d’un conflit qui contraint l’une et l’autre à vivre dans l’incertitude, l’inquiétude,  la peur, sinon dans le qui-vive permanent, en mobilisant l’essentiel des énergies moins pour construire que pour détruire ?

La plupart, sinon la totalité des intervenants que j’entends à propos de la guerre actuelle à Gaza, parlent du 7 octobre comme d’un commencement, ce qui revient à laisser entendre qu’avant cette date, les deux parties vivaient en paix.

Le 7 octobre n’est, dans toute son horreur, qu’un moment de cet affrontement qui a commencé il y a plus de quatre-vingts ans dans la violence d’un acte jamais reconnu comme tel par Israël, mais dont les accords d’Oslo permettaient un début de distanciation.

La rupture du processus qu’a provoquée l’assassinat d’Yitzhak Rabin par un extrémiste israélien s’inscrit dans la problématique que je propose, comme le massacre du 7 octobre et comme l’entreprise de démolition systématique de Gaza, : ces actes sont essentiellement de type suicidaire.

>Le Hamas savait que son attaque (quelle fut la part d’improvisation en l’absence surprenante de défense ?) ne pouvait remettre en cause l’existence d’Israël et, compte tenu de la dissymétrie des forces, il savait que la réplique serait dévastatrice.  

>Israël – co-responsable de l’émergence et du succès électoral du Hamas en Cisjordanie et à Gaza qui servait sa stratégie de division – sait qu’il ne se remettra pas de la destruction du peuple gazaoui et de sa culture par les armes, la famine et la maladie, ni de l’entreprise de colonisation sauvage en Cisjordanie. La politique de fuite en avant (Gaza, Liban, Syrie et maintenant Iran) ne peut conduire que dans un abîme.

Et nous – je parle du discours dominant européen, occidental, notamment tel qu’il s’exprime dans les médias  –  qui ne voulons pas regarder la cause du désarroi planétaire qui s’exprime depuis le début des années 1990 sous les formes multiples que peut prendre le chaos, nous qui collons l’étiquette « terrorisme » pour nous donner l’illusion d’ avoir expliqué quelque chose, nous qui ne disons pas clairement que la revendication d’une Identité nationale gravée dans le marbre et flanquée de ses corollaires « préférence nationale » et, quelle que soit la langue, « Moi d’abord ! » est la marque de fabrique d’une idéologie dont, depuis un siècle au moins, nous savons qu’elle a pour nom « fascisme » et qu’elle conduit à la guerre, nous, par nos non-dits nos tergiversations et nos peurs,  contribuons à entretenir le terreau de ce désarroi mortifère

A propos du conflit entre Israël et les Palestiniens, il n’y a pas d’autre issue d’abord intellectuelle que celle de la problématique de la co-responsabilité des deux parties et du questionnement de la signification de sa durée pour l’une et l’autre.

Cordialement.

Jean-Pierre Peyrard

Laisser un commentaire