Journal – 52 – La protection du « tu ne tueras point » – (28/05/2025)

C’est le leitmotiv de Burno Dallaporta (néphrologue), invité une nouvelle fois (cf. Journal 46 – 13/05/ 2025) avec François Blot (médecin réanimateur) par Quentin Lafay (27/05/2025 – 18 h 20 – France Culture) à propos de la loi sur l’aide à mourir votée par l’Assemblée nationale.

En écoutant B. Dallaporta, je me surprends à me demander si je suis bien sur France Culture, si tant est que la culture commence par la capacité à examiner la validité de ses références, des socles théoriques sur lesquels on construit son discours.

Celui de B. Dallaporta repose sur le « tu ne tueras pas » dont il affirme qu’il est remis en cause par la loi qui vient d’être votée et qu’il inscrit dans ce qu’il appelle la « morale universelle ». Je cite : « C’est une loi [la loi sur l’aide à mourir]  où l’on fait tomber l’interdit de donner la mort dans une civilisation, c’est un phénomène anthropologique extrêmement préoccupant. C’est gravissime ».

Il cite le nom de Paul Ricoeur, il parle à toute vitesse en mangeant ses mots, mêle « morale, éthique, universel, axiologique, matrice de pensée, symbolique imaginaire » dans une bouillie indigeste, dit qu’un nombre considérable de personnes va être éligible (pourquoi l’autre intervenant ou le journaliste ne lui pose pas la question : et alors ? Est-ce que nous ne sommes pas tous, lui aussi, des éligibles en puissance ? ), dit que si une personne arrête un traitement elle aura une vie altérée et demandera l’aide à mourir  (encore une fois : et alors ?), et, pour valider l’argument de l’intériorisation des critères d’utilité et de rentabilité instillés par la société néolibérale, il prend l’exemple d’une personne isolée dans un désert médical qui ne peut pas avoir de rendez-vous adéquat et pour laquelle « le plus simple, c’est l’euthanasie » ( mais avec l’aide de qui ?).  Il ne lui vient pas à l’esprit de poser la question du désert médical, ni, non plus, de remarquer qu’il condamne cette personne théorique à souffrir et à mourir sans aide.

J’arrête ici l’énoncé du discours de ce monsieur qui répète et répète sans fin des formules apprises, pour m’en tenir à l’intitulé de l’article.

« Tu ne tueras pas » est pour lui l’expression de la morale universelle qui sert de garde-fou… notamment pour les fantasmes des médecins qui auraient envie de donner la mort. Je n’invente rien, c’est ce qu’il dit.  

Tout son discours repose là-dessus.

Que devient-il si on lui fait remarquer que ce « tu ne tueras pas » est une injonction, un interdit moral,  tout ce qu’on voudra, mais pas un principe, donc qu’il n’a rien d’universel ?

Nous passons notre vie à tuer. A tuer les animaux et les végétaux pour nous nourrir – et eux aussi, selon le mode qui leur est propre – et, de temps en temps, à tuer d’autres hommes par centaines de milliers, voire par millions, de manière tout à fait légale, organisée et planifiée, dans une activité qui s’appelle la guerre, toujours justifiée par une morale quelconque ou un dieu. 

Dans le bredouillement de ce monsieur – dont je ne discute pas les compétences médicales – se nichent à la fois la peur et l’hypocrisie.

La peur – sa peur…  –  s’exprime dans le tableau apocalyptique des effets de la loi. A l’entendre, nous tous, les hommes, et donc y compris les médecins, sommes à l’affût de ce qui nous permettra de tuer. Et quand, s’agissant des dérives, notamment des prélèvements d’organes après euthanasie, le journaliste lui demande s’il a des exemples, il répond « Je pense que ça se fait en Belgique, au Canada. Je pense. » Peut-être que la question « Vous pensez, ou vous savez ? » aurait été bienvenue.

Quant à l’hypocrisie : « L’intégralité morale du professionnel de santé n’est pas attaquée lorsqu’il réalise l’arrêt de traitement, ce sont des bonnes pratiques, elle commence à être attaquée avec le suicide assisté et elle l’est encore plus avec l’euthanasie. »

Voilà. Tout le monde sait que la sédation profonde – elle est autorisée – n’est pas l’absence de souffrances pour la personne concernée qui le sait, et qui sait aussi combien sa mort dans ces conditions (notamment l’asphyxie…) sera éprouvante, non seulement pour lui, mais pour son entourage.

Ce genre de discours, débité sans réplique adéquate, est, sur France-Culture, un crève-cœur.

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