Journal – 46 – La peur de la problématique – ( 13/05/2025)

L’émission « Questions du soir » (France Culture – 18 h 20) proposait hier (12/05/2025) un (énième) débat sur l’aide active à mourir qui est toujours et encore discutée à l’Assemblée nationale. Dans l’après-midi, j’ai envoyé au journaliste qui l’anime un message pour expliquer ce qui me paraît constituer l’essentiel de ce problème : l’établissement d’un principe.

« Bonjour, monsieur Lafay

Vous allez diriger ce soir un débat sur l’euthanasie, l’aide active à mourir. Ces quelques réflexions pourraient le nourrir.

Si ce débat n’en finit pas, c’est à mon sens parce que la problématique qui le contient n’a pas encore été vraiment construite.  Elle repose sur cette question essentielle : est-ce que notre vie nous appartient ? Autrement dit, est-ce que nous reconnaissons au sujet que nous sommes tous le droit d’en disposer librement ? Et lui reconnaissons-nous pour mourir, le droit d’assistance que nous lui reconnaissons pour naître ?

Cette question n’est pas débattue pare ce que subsiste la croyance, consciente ou non, explicite ou implicite, fondée sur une longue histoire, que la vie appartient à Dieu qui la donne et la reprend selon des desseins par définition impénétrables.

En résulte un débat infini, présenté comme essentiel par les adversaires de l’aide active à mourir, sur les modalités, elles-mêmes découlant d’un présupposé qui peut se résumer ainsi : ouvrir le droit à l’euthanasie assistée, c’est ouvrir la porte à tous les abus visant les personnes âgées, les handicapés, les personnes fragiles en général. Comme si les êtres humains attendaient cette reconnaissance pour se livrer aux assassinats empêchés par l’interdit.  Cet argument de type dissuasif était celui des adversaires de l’abolition de la peine de mort qui prédisaient une recrudescence de meurtres et d’assassinats.

La problématique dont je parle contient une autre question : celle du choix, donc de l’information et de la conscience. Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler que tout choix a pour corollaire un renoncement et qu’aucun que ceux qui sont favorables à l’aide active à mourir ne dit qu’une volonté émise à un moment donné vaut engagement définitif. Je peux, en bonne santé, décider que je choisirai l’aide à mourir, et y renoncer le moment venu sans que cela n’invalide ce droit pour ceux qui feront un autre choix.

En d’autres termes, le droit à l’euthanasie n’oblige personne, il ouvre au contraire le champ de la liberté de l’individu ; en revanche, son refus le restreint au nom de valeurs alors que cette problématique se construit à partir d’un principe.

Cordialement. »

Il en a lu le début à ses deux invités, deux médecins, l’un néphrologue, l’autre réanimateur, l’un et l’autre membre de divers comités d’éthique, et qui ont préféré l’affrontement de valeurs. (le débat est disponible sur le site de la chaine).

Pour le remercier, je lui ai envoyé ce nouveau message : 

« A nouveau, bonjour, monsieur Lafay

Je vous remercie pour avoir proposé la problématique. L’échange qui a suivi témoigne que les confrontations de « valeurs » sont celles de subjectivités, certes respectables, mais qui ne permettent pas d’aboutir à autre chose qu’à un rapport de forces. Vous vous doutez que je ne partage pas celles de B. Dallaporta  [le néphrologue] qui ne peut concevoir qu’aider à mourir ne soit pas synonyme de donner la mort et encore moins du rétablissement de la peine de mort ! J’ai apprécié votre réaction à cette énormité significative de ce qui se cache derrière ses cinq distinctions. De ce point de vue, l’approche de F. Blot [le réanimateur ]est plus intéressante et pertinente (notamment son invocation de la fraternité), même si elle ne va pas jusqu’à poser la problématique du « principe » (antinomique de la « valeur »), critère essentiel de notre République laïque.

Le droit de disposer librement de sa vie et de l’aide à mourir est en effet un principe contenu dans le principe-triptyque Liberté Egalité Fraternité. Confrontés tous sans exception depuis l’âge de trois ou quatre ans à la double conscience (biologique et psychique) de notre mort (Egalité), nous disposons de la possibilité de choisir (Liberté) notre manière de vivre ce seul moment exclusif qui fait de nous des frères de solitude (Fraternité).

Le « vrai » débat est là.

Cordialement. »

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