Journal -31 – « Face à l’obscurantisme woke » et la « norme » – (25/03/2025)

Face à l’obscurantisme woke est le titre d’un livre publié aux Presses Universitaires de France. Un ouvrage collectif. Le fond de couverture est noir, Face et Woke, en capitales grand format sont en rouge, ils encadrent verticalement à l’obscurantisme en capitales plus petites et blanches. En haut, en capitales encore plus petites et en blanc les trois noms de ceux qui ont dirigé la rédaction du livre.
L’effet est saisissant. Noir, rouge et blanc sont des couleurs privilégiées de l’iconographie nazie.
Rédigé avant l’élection de D. Trump, il dénonce les menaces idéologiques que le wokisme est censé faire peser sur la démarche universitaire. D. Trump élu, la publication a d’abord été retardée, signe du malaise provoqué par le renversement du rapport d’agression et la menace cette fois économique visant des champs universitaires censés propager le wokisme. Le livre sera finalement mis en vente en avril.
Les trois professeurs qui ont dirigé la rédaction du livre font partie de L’Observatoire Ethique Universitaire, lui-même soutenu, via son projet Périclès (= Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes) par le milliardaire catholique d’extrême-droite Pierre-Edouard Stérin émigré fiscal en Belgique depuis 2012. Le choix de Périclès n’est pas anodin, il renvoie à l’annexion de la Grèce antique par le nazisme.
On peut trouver dans la page d’accueil de L’Observatoire l’édito suivant :
« Un profond renversement des valeurs et des repères frappe aujourd’hui les sphères intellectuelle, éducative et sociale. Les idéologies identitaires dévoient les combats historiques pour l’égalité, les vidant de leur sens. Il est urgent de rétablir une pensée critique, armée de savoir et de rigueur, pour faire front contre cette mascarade qui brouille la transmission du réel. »
La présentation d’un des livres qui traite du colonialisme, écrit par celui qui dirige L’Observatoire, offre un bon exemple de ce que peut être une « pensée critique armée de savoir et de rigueur ».
« Tout en militant avec une intransigeance absolue pour une abolition totale ici, [du colonialisme], nous devons nous garder de toute tentative de jugement hâtif sur des sociétés non occidentales qui, elles, ont peut-être trouvé dans certaines formes de servitude un équilibre civilisationnel qu’il ne nous appartient pas de déconstruire. L’essentiel est d’abolir, encore et encore, en France uniquement. »
Si je rapproche les deux textes, « rétablir la pensée critique » passe donc par la construction d’un rapport harmonieux entre « servitude » et « équilibre civilisationnel ».
Tout cela en me gardant du « jugement » ennemi de la démarche universitaire quand il est « hâtif » ce qu’il n’est évidemment pas ici. Non. La pensée lente est au contraire tout en nuances, puisque il ne s’agirait que de « certaines formes de servitude » et que « l’équilibre civilisationnel » aurait été seulement « peut-être trouvé. »
En m’armant moi aussi de ce savoir et de cette rigueur, je parviendrai, sans jugement hâtif, à soutenir la thèse tout en nuances, elle aussi, que la société allemande a trouvé un équilibre civilisationnel entre 1933 et 1945. Oh ! je vous prie d’excuser ma précipitation : a peut-être trouvé…
L’écriture et la publication de ce livre de pensée critique urgente est une illustration de la dérive de plus en plus affirmée qui fait partie de la problématique de la norme : quand Martin Luther King organise sa manifestation contre la ségrégation, il propose de protester contre une norme considérée comme la norme allant de soi depuis des siècles de la hiérarchie raciale et c’est pour l’avoir contestée qu’il est assassiné. Quand est posée la question de l’intersectionnalité (tout individu se trouve objectivement à la croisée de chemins biologiques, sociaux, culturels etc.) se lève alors la protestation au nom de la norme de… mais de quoi, au juste ?
On peut s’en approcher en rappelant ce fait : pour montrer qu’une information est fausse, il faut une énergie et un temps sans commune mesure avec ceux de sa diffusion (cf. la calomnie), d’où le risque de démesure, corollaire de la démesure du faux.
La norme est celle du « moi » en rapport avec les « moi » analogues par les critères partagés (couleur de peau, croyances, valeurs…) qui servent de justification au refus du contingent (« moi » relatif) pour la proclamation d’un « moi » absolu (blanc = pureté, catholique = universel…) dont la fonction est, in fine, le déni de la mort telle qu’elle est via la validation de l’équation capitaliste… dont D. Trump, E. Musk, P.E. Stérin et les autres sont les figures dominantes aujourd’hui.
« America first ! » est l’expression de ce moi absolu, le « moi d’abord ! », variation du « moi au-dessus de tout » coloré du noir, rouge et blanc du nazisme.

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