En fait, il y en a quatre. Comme les mousquetaires. La comparaison s’arrête là.
Une des séquences de Rio Bravo (western réalisé par Howard Hawks en 1959) réunit le shérif John T. Chance (John Wayne) et ses trois adjoints, Colorado (Ricky Nelson) Dude (Dean Martin) et Stumpy (Walter Brennan) dans le bureau de la prison où ils attendent le juge qui présidera le procès d’un meurtrier (Joe Burdette) enfermé dans la cellule. C’est le soir, la situation est difficile : Nathan, le frère du meurtrier, un riche potentat local, veut le libérer par la force.
Colorado et Dude chantent alors une première chanson dont le titre sert de refrain : My rifle my pony and me (Mon fusil, mon poney et moi). Composée huit ans avant le film qui l’intègre dans le scénario, elle met en scène un cow-boy dans un rapport harmonieux avec la nature où il se repose après une journée de travail et rêve à son retour chez lui. La seconde, Cindy (bluette amoureuse) est chantée par Colorado qu’accompagne Stumpy à l’harmonica. L’une et l’autre sont du genre « folk ».
La troisième, God Bless the USA (Dieu bénisse les USA) – elle n’est pas incluse dans un film mais illustrée par une vidéo visible sur YouTube – a été composée en 1984 par Lee Greenwood (82 ans). Ronald Reagan (acteur de westerns) l’appréciait beaucoup et son auteur la chanta lorsque Donald Trump fit son entrée à la convention républicaine de Milwaukee le 15 juillet 2024. Le narrateur explique que si tout disparaissait et qu’il doive tout recommencer « avec simplement ma femme et mes enfants », « Je remercierais toutes mes bonnes étoiles / De briller aujourd’hui / Car le drapeau reste synonyme de liberté / Et personne ne peut nous l’enlever. ».
La première chanson de Rio Bravo raconte donc la rêverie d’un cow-boy – dans son sens premier de vacher – donc un simple travailleur, salarié, comme sont à la fois simples et salariés les quatre personnages principaux. Dude, qui l’interprète, vient d’être soudainement guéri des séquelles de l’alcoolisme où il avait sombré après une rupture amoureuse, par l’évocation de la bataille d’Alamo dont une trompette (payée par Nathan Burdette) sonne inlassablement le leitmotiv lancinant du massacre des troupes américaines par les Mexicains.
Rio Bravo, réalisé en 1959, s’opposait radicalement à High Noon (Le train sifflera trois fois – 1952) réalisé par Fred Zinnemann, dans lequel le shérif Will Kane (interprété par Gary Cooper) demande en vain l’aide de ses concitoyens pour lutter contre le bandit qui vient le tuer avec trois acolytes.
Contrairement aux deux chansons de Rio Bravo, celle de High noon (Do not forsake me oh my darlin’ = Si toi aussi tu m’abandonnes – « toi » désigne Amy, interprétée par Grace Kelly, que le shérif vient d’épouser), ne fait pas partie du registre folk : elle parle de l’homme confronté à ses peurs, à son angoisse, à la mort, à la solitude, et de ce qui détermine le comportement de l’individu, de la collectivité et leurs rapports.
H. Hawks et J. Wayne détestaient le film et sa chanson sans doute parce qu’ils ne concevaient pas qu’un western puisse servir de support à une problématique autre qu’exclusivement américaine et qu’il n’en exalte pas les « fondamentaux » : Will Kane est abandonné par les hommes, c’est son épouse, revenue in extremis, qui le sauve avant qu’il ne tue le bandit et, devant la foule qui accourt quand tout est fini, il jette par terre son étoile, avant de partir avec elle.
Ce qui, malgré cette différence, réunit Rio Bravo et Le train sifflera trois fois, c’est l’immanence : tout est à hauteur des hommes – horizontalité – et la transcendance – verticalité – incluse dans cette immanence est, pour le premier, les « valeurs » américaines, pour le second, l’amour. Le shérif de Rio Bravo incarne la force à la fois virile et désintéressée au service de la loi humaine pour le respect de laquelle il mobilise son énergie contre le pouvoir de l’argent (cf. les pièces trouvées dans la poche des tueurs envoyés par Nathan Burdette pour éliminer l’équipe du shérif), Amy, transgresse les principes de sa foi (elle est quaker) pour sauver son mari.
Dans les deux films, Dieu est absent.
God bless the USA est un discours de propagande qui associe en les imbriquant foi et patriotisme pour le projet politique de l’Amérique, la vraie, profonde, rurale, incarnée à nouveau par D. Trump : la vidéo montre l’homme sur son tracteur vintage, dans le soleil couchant, avant qu’il ne rejoigne sa grande famille qui l’attend dans une maison propre et simple où tout le monde s’aime et aime aussi les disparus morts pour la patrie. Une Amérique qu’il faut défendre (le mot revient à plusieurs reprises), sans qu’il soit explicitement précisé contre qui, mais il suffit de voir qui n’est pas dans la vidéo pour s’en faire une idée.
Que D. Trump soit un milliardaire citadin n’a aucune importance : il est la personnification/incarnation de la puissance de Dieu ( = il n’a été qu’égratigné par la balle qui devait le tuer lors de l’attentat de Milwaukee) et pour les partisans de Make America Great Again ! et América first ! ses milliards sont, non pas l’argent marqueur d’une classe sociale, d’un pouvoir d’achat et d’un niveau de vie, mais une entité abstraite signe de l’efficacité de cette puissance divine qu’il incarne (cf. le reportage, sur Arte.tv réalisé en Pennsylvanie à Elisabethtown, en 2023, à l’occasion de l’élection d’un Conseil scolaire). Il peut donc récupérer aussi la chanson YMCA (sigle du mouvement Young Men’s Christian Association = association des jeunes hommes chrétiens) interprétée en 1978 par le groupe Village People… et qui aborde la thématique de l’homosexualité.
A la différence de celui des trois autres chansons, le monde représenté par God bless the USA et sa vidéo, incarné par D. Trump, est de l’ordre de la transcendance religieuse : les grands patrons et les milliardaires sont désormais dans un rapport d’allégeance avec lui, comme ses partisans le sont avec Dieu, comme la Constitution qu’il jurera de défendre et respecter après l’avoir violée.
Et, là, il ne s’agit pas de cinéma.