Marie Labory – dont j’apprécie le discours de ses émissions – recevait ce mardi 14 janvier (13 h 00 – France Culture) Julie Duclos qui met en scène (au théâtre de l’Odéon) certains tableaux de Grandeur et Misère du IIIème Reich, une pièce de l’écrivain allemand Bertolt Brecht, écrite entre 1935 et 1938.
B. Brecht proposait une nouvelle conception du théâtre auquel il assignait une fonction de pensée plus que du plaisir de distraction – même si ce n’est pas contradictoire.
Ainsi, il explique à l’avance par des moyens de théâtre variés quel va être le récit/scénario de la pièce, et aussi de chacun des tableaux de la pièce, pour que le spectateur puisse mobiliser son esprit ainsi libéré du suspense qui fait attendre ce qui va arriver au détriment de ce qui est en train de se passer, en particulier le discours qui sous-tend le récit.
La journaliste et son invitée soulignaient en particulier l’importance de la documentation réunie par Brecht pour nourrir le discours de sa pièce. Ce qui m’a donné l’envie d’écrire cette lettre à la productrice de l’émission :
Bonjour, Marie Labory.
J’apprécie sans réserve l’esprit des émissions que vous proposez, en particulier votre entretien du 14 janvier avec Julie Duclos à propos de l’œuvre qu’elle monte à partir de la pièce de Bertolt Brecht, Grand-Peur et Misère du IIIème Reich.
Je suis professeur de lettres classiques – maintenant en retraite – et j’ai expliqué certaines des pièces et des autres œuvres de Brecht à des élèves de 1ère et terminale.
Je voudrais vous soumettre cette réflexion sur le « ventre toujours fécond » qui a été cité dans votre entretien.
L’expression se trouve dans La Résistible ascension d’Arturo Ui (1941).
La phrase « Der Schoß ist fruchtbar noch, aus dem das kroch » (« le ventre est encore fécond d’où ça a rampé ») signifie que « ça » ne vient pas de l’extérieur, mais qu’il est en nous tous, et que l’accès au pouvoir des nazis en est d’abord le produit avant d’en être le catalyseur.
La force de Brecht est moins dans la documentation que dans la conscience de ce que peut produire, en chacun de nous, l’ouverture de certains verrous d’inhibition, une question redevenue d’actualité depuis la fin des années 80.
Il me semble important de préciser que l’idéologie d’extrême-droite se manifeste d’abord par la mise en route de nos petites machines individuelles de peurs et d’angoisse qui finissent par se contacter les unes aux autres en une machinerie générale mortifère, pour expliquer comment ce qu’on a pu croire être un moment de notre histoire est en réalité une constante dont seuls varient les modes d’expression.
Cordialement à vous.
Jean-Pierre Peyrard »
Pour ceux qui ne connaîtraient pas, je recommande, outre les pièces de théâtre, Histoires d’almanach.