Journal 100 – le faux piège du dilemme cornélien – (24/10/2024)

L’éditorialiste des Matins de France-Culture expliquait en quoi la « niche parlementaire » permet au RN de tendre un piège à la gauche et à la droite. Cette « niche » est une disposition qui autorise les partis, pendant une journée et à tour de rôle, à proposer des lois.

Le RN va proposer l’abrogation de la réforme des retraites – revendication de la gauche – le rétablissement de la peine plancher et l’expulsion des étrangers condamnés – revendication de la droite. 

En quoi est-ce un piège ? Le vote de la gauche ou de la droite pour une proposition RN signifie la fin du cordon sanitaire qui exclut le RN du champ républicain et rend envisageables des alliances, jusqu’ici refusées, autrement dit revient à faire du RN un parti comme les autres.

Tel est le discours de l’éditorialiste Stéphane Robert qui évoque donc un « problème cornélien » : l’accord ponctuel est en contradiction avec le désaccord essentiel, le refus de la proposition en contradiction avec sa propre proposition. Donc, quoi que décident les partis, ils sont perdants, en particulier pour l’opinion publique.

D’où « problème cornélien ».

Rappel : Corneille (17ème siècle) est l’auteur de tragédies dont la plus célèbre est Le Cid (1637) généralement étudiée au collège en classe de 4ème. L’intrigue met en scène deux familles aristocratiques de haut rang, en particulier Rodrigue (fils de Don Diègue) et Chimène (fille de Don Gormas) qui s’aiment et vont se marier. La jalousie politique de Don Gormas le conduit à souffleter Don Diègue, autrement dit à le provoquer en duel. Don Diègue, âgé, est physiquement incapable de relever le défi, ce qui le met dans une situation de déshonneur, inacceptable pour un aristocrate. Il demande donc à son fils de se battre à sa place.

D’où le dilemme :

1- Rodrigue accepte : soit il tue Don Gormas soit il est tué et il perd Chimène dans les deux cas – elle refusera d’épouser celui qui a tué son père.

2- Rodrigue refuse : il la perd aussi puisqu’il déroge au code de l’honneur qui lui commande de se battre : elle refusera d’épouser un homme déshonoré.

En quoi parler de dilemme est un piège ?

Tout dépend du critère-référence. 

Rodrigue est piégé uniquement dans le cadre du critère-référence « code de l’honneur » de l’aristocratie. Il ne l’est plus s’il en sort, comme l’indique Corneille dans les célèbres « Stances », un monologue où Rodrigue envisage l’hypothèse de sortir de ce cadre. Corneille décide qu’il va obéir à son père. Il tuera le père de Chimène mais tout se terminera quand même bien grâce à l’intervention du roi (= deus ex machina, un procédé de théâtre équivalent à la baguette magique). Corneille sait qu’on n’a qu’une vie, et qu’imaginer une révolte, même dans une pièce de théâtre, pourrait lui coûter cher.  Il fait ainsi preuve de sagesse, comme, dans un autre domaine, Galilée.

Ici, sortir du cadre du critère-référence, donc éviter le prétendu problème cornélien,  implique de dire et d’expliquer en quoi le RN n’est pas un parti politique, mais l’expression électorale d’une pathologie collective.

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