Journal 99 – le soleil – (23/10/2024)

« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. »

Ainsi commence L’Etranger écrit par Albert Camus en 1942. Rapportée à la problématique du livre (la question des références, l’éthique) la date a son importance.

L’intérêt de ce début de roman repose sur la structure : une juxtaposition de phrases (pas de liens, d’articulations) et de réflexions qui crée une ambiguïté, relativement aux références « normales » quant à l’événement que représente la mort de la mère. « Normalement » quand meurt la mère, on est triste, désemparé etc. et cette perturbation « doit » être visible, perceptible.

Ce qui ressort de ce début (en langage savant on dit un incipit – du latin incipere : commencer) est exactement le contraire. Non du point de vue de la logique pure, mais du rapport avec l’événement : l’incertitude  (Ou peut-être hier, je ne sais pas (..) Cela ne veut rien dire) s’explique en effet par la différence de temporalité entre le moment où a été écrit le télégramme et celui où Meursault (le narrateur) le reçoit : le « hier » du télégramme peut ne pas être celui du narrateur, tout dépend du délai de transmission.

Ce qui « ne va pas » c’est la distance entre la gravité de l’événement et la réaction/réponse : Meursault ne dit rien de ce qu’il ressent… s’il ressent quelque chose. Le reste du récit développe la problématique : quels que soient les situations, les événements, les personnages, il n’a jamais l’attitude, le discours, le comportement attendus, « normaux » dans le sens premier du mot (latin norma : équerre, règle, loi).

L’événement le plus important est le meurtre de l’Arabe et, du point de vue de l’écriture, c’est un des passages les plus remarquables en ce sens qu’il permet non seulement de comprendre mais de ressentir comment et pourquoi on peut tuer à cause du soleil. Je n’en dis pas plus, une manière d’inviter ceux qui ne connaissent pas ou qui ont oublié à lire ou relire.

Le soleil.

Dimanche, il faisait un temps magnifique, et la scène se passe dans un restaurant tout simple, proche du sommet de l’Aigoual, qui propose une omelette aux cèpes –   c’est la saison. La salle était déjà très remplie quand nous sommes arrivés et le patron nous a indiqué une table près d’une fenêtre… en plein soleil.

J’ai pensé à L’Etranger.

Avant-hier (là, il n’y a pas de doute), mardi, Jean-David Zeitoun, médecin épidémiologiste, intervenait dans « Questions du soir »  (18 h15) sur France Culture à propos de la « violence normale ». Mentionnant Camus, entre autres, il citait, comme facteur aggravant, les pics de chaleur.

Le patron a ouvert la fenêtre, déplié un volet, l’ombre a recouvert la table et je n’ai tué personne.

Le pic de chaleur n’est pas la cause, non plus que le soleil que certains supportent volontiers à table, s’ils ne le recherchent pas.

Il y a autre chose. Ou plutôt quelqu’un.

Les deux premières photos – lumière et ombre – ont été prises dans l’Aigoual, la troisième dans la vallée de la Vis.

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