Ce matin, j’ai relu Journal 91 écrit hier, avant de le publier. Il paraît donc aujourd’hui, le 29, avec la date du 28. Il peut arriver qu’entre l’écrit du soir et la lecture du lendemain matin… Bon. Et puis j’avais eu l’intention de le compléter par ce qui suit et j’ai finalement décidé d’attendre pour laisser retomber la pression.
Donc, hier, je voulais écouter le discours de B. Netanyahou à l’ONU. Le début de son intervention fut à la fois sidérante et insupportable.
Voici ce qu’il déclare – une partie des délégations étrangères avait quitté la salle en signe de protestation – alors que l’armée israélienne continue la destruction de Gaza et le bombardement du Liban :
« Et voilà la vérité : Israël veut la paix, Israël appelle la paix, Israël a déjà fait la paix et refera la paix et pourtant nous sommes confronté à des ennemis sauvages qui ne veulent que nous détruire, nous devons nous défendre contre ces assassins sauvages, nos ennemis ne cherchent pas seulement à nous détruire mais aussi à détruire notre civilisation commune, à nous envoyer à l’âge sombre de la tyrannie de la terreur… »
L’effet de sidération passé – une soirée avec des amis, un vin sympathique – je me suis endormi avec cette question : comment un tel discours est-il possible ? Comment cet homme – d’une manière générale « un homme » – peut-il prononcer des paroles qui se heurtent à un réel qui les contredit ? Comment peut-il ?
S’il peut, c’est qu’il y a un réel autre.
Pour convaincre de son choix de la paix, il se réfèrera à Moïse – la caution religieuse du « peuple élu » – et invoque sa démarche pour l’établissement de relations avec l’Arabie saoudite, bloquée par le massacre du 7 octobre.
Comment peut-il, en l’occurrence, révéler ainsi qu’il nie l’existence des Palestiniens dont la reconnaissance d’un Etat est au cœur de la problématique de la paix ?
Les accords avec l’Arabie sont d’abord dictés par l’économie ( « Je vous le dis, quelle bénédiction une telle paix avec l’Arabie saoudite apporterait – elle serait une aubaine pour la sécurité et l’économie de nos deux pays, elle stimulerait le commerce et le tourisme dans toute la région, elle aiderait à transformer le Moyen-Orient en un géant mondial ») alors que le problème de la paix dans son rapport avec les Palestiniens est d’ordre existentiel.
Il sait que les auditeurs – ceux qui sont restés – savent, il sait que personne n’est dupe, mais il peut.
Ce réel autre dans lequel peut fonctionner ce discours est celui que construit un système de références qui se présente comme l’expression du seul vrai, un absolu excluant la dialectique qui en révélerait la contingence : « Et voilà la vérité », dit-il en introduction de la mystification.
Autrement dit : comme ses prédécesseurs, il dénie la responsabilité de l’Etat israélien dans l’émergence du Hezbollah (fondé en 1982, après l’invasion du sud Liban par l’armée israélienne) et du Hamas (fondé en1987, après la 1ère intifada – les pierres du désespoir contre les tanks), d’une manière dans toutes les formes de protestation et de refus de sa politique de domination.
La reconnaître impliquerait une redéfinition de ce système de références, donc la reconnaissance que l’absolu prétendu ne l’est pas.
De ce point de vue, B. Netanyahou ne s’exprime pas seulement en tant qu’Israélien investi du pouvoir, mais en tant que porte-parole de « l’occident » qui le soutient, soit directement en lui fournissant les armes (USA) soit indirectement en refusant de lui appliquer – traitement des Palestiniens, colonisation, Gaza et Liban – le qualificatif « terroriste » qu’il réserve aux forces antagonistes qu’il a contribué à faire émerger.
Ce réel autre est celui de l’équation capitaliste confusément contestée par le vecteur religieux auquel s’accrochent encore les peuples historiquement dominés et exploités, directement ou pas, par la puissance occidentale. Il faut relire l’histoire récente de l’Iran (depuis la seconde guerre mondiale) pour comprendre comment a pu émerger l’espérance dans les ayatollah – y compris, en Europe, chez ceux qui dénonçaient la politique répressive du Shah.
Dans l’expression hyperbolique par les armes et les mots de cette violence démesurée, Israël est peut-être le signe le plus explicite du chaos de destruction qui s’amplifie.
- Pour adoucir, la couleur des couteaux sur une assiette au bord de l’étang de Thau.
