Journal 87 – l’abbé, les talibans, le mari – (20/09/2024)

L’abbé Pierre, les talibans d’Afghanistan, le procès de Mazan (D. Pélicot – cf. 03/09/2024))

« Saint », disait-« on » de l’abbé Pierre. Le latin sanctus vient d’un verbe (sancire) qui signifie « rendre inviolable par un acte religieux ». Appliqué à l’abbé, je dirais que c’est pour le moins ambigu. Le comportement de cet homme et des autres prêtres/religieux coupables de violences/crimes sexuels est présenté sous l’angle de la contradiction dans le sens où le rapport au corps (dont la sexualité) est considéré comme un problème qui se pose dans et à l’église. La sexualité des prêtres/religieux est donc perçue comme une anomalie surtout quand elle est criminelle. Il en va tout autrement si on considère au contraire que l’église est un problème qui se pose dans la problématique du rapport au corps. Autrement dit, l’institution ecclésiastique est l’expression d’un déni du corps et de la sexualité qui ne peut plus s’exprimer que par la transgression d’interdits d’autant plus ambivalents qu’ils sont sacrés. Bref, l’anomalie n’est pas dans l’église, elle est l’église elle-même, et « sainteté » est un des outils de la transgression.  Certains qui ont approché l’abbé disaient qu’il était Dieu. Ce que fait Dieu ne peut pas être de l’ordre de la transgression.

Les talibans – ils viennent de réduire encore l’exercice de la liberté pour les femmes – en offrent un autre exemple religieux extrême et sidérant en ce sens qu’il est d’Etat. Leurs interdits – jusqu’au droit de chanter – seraient considérés comme inconcevables dans une fiction.

L’affaire Pélicot en est l’expression profane et la manière dont est conduit le procès – à la demande même de Gisèle Pélicot qui a refusé le huis-clos– constitue un problème : les vidéos prises par le mari  (elles montrent les rapports sexuels des « clients» et du mari lui-même avec son épouse inconsciente) sont diffusées dans l’enceinte du tribunal comme preuves de culpabilité des accusés.

Ma contribution au Monde sur cet aspect du procès :

« Le problème posé par les vidéos ainsi diffusées est celui de la réduction de G. Pélicot à l’objet qu’en a fait son époux, alors qu’elle est là en tant que sujet, qu’elle regarde et qu’elle est regardée en train de regarder. Autrement dit, une dissociation et un voyeurisme caractéristiques de certaines pathologies et qui peuvent entraîner des conséquences imprévisibles. Dans un procès criminel « ordinaire » est-ce que les preuves de culpabilité obtenues par les enquêteurs sont exposées devant la cour ou seulement devant le juge d’instruction ? »

Deux lecteurs ont répondu que les preuves sont fournies à la cour.

Ce qui m’a conduit à compléter par cette question :

« Quelle intimité reste-t-il à G. Pélicot dont le corps est vu utilisé comme dans un film pornographique ? Qu’il ait été tourné à son insu n’élimine ni le traumatisme ni les fantasmes. »

J’ajoute : la meilleure aide pour la victime, qui restera victime, est celle qui lui permette de comprendre comment elle a pu aimer, épouser et vivre avec cet homme pendant 50 ans, sans en percevoir la face sombre. Idem pour sa fille, ses proches et ses voisins.  Dans quelle mesure les scènes de viol montrées au public peuvent-elles y participer ?

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