Le dimanche matin, à 7 h 000, j’écoute Le Bach du dimanche sur France Musique. Avant, je jette un rapide coup d’oreille sur France Info pour savoir s’il est arrivé quelque chose dans le monde.
Et ce matin, c’est dimanche.
Avant le Fil-info (un résumé de ce qui est considéré comme le plus important), est diffusée une des séquences consacrées à Françoise Hardy, « partie », ainsi que l’a annoncé son fils, le 11 juin. Comme je ne suis pas né d’hier, je me rappelle le choc émotionnel de Tous les garçons et les filles. En tout cas pour ceux qui écoutaient « Salut les copains ! » tous les jours à 17 h 00 sur Europe 1, la station « dans le vent », le vent des copains, c’était quelques années avant mai 68, les fleurs n’étaient pas encore sur les chemises. Je sais que le vent qui souffle aujourd’hui dans cette station de radio a vilainement tourné.
Tous les garçons et les filles est une intéressante illustration de l’énigme qu’est la musique, ou qu’elle semble être, quand on cherche à comprendre pourquoi. On n’est pas obligé, mais ça reste une question. La mélodie n’était pas exceptionnelle, l’accompagnement sommaire, la voix, nouvelle, comment dire… F. Hardy elle-même disait qu’elle n’aimait pas cette chanson, même qu’elle en avait honte. Et 60 ans plus tard, on l’écoute toujours.
Juste après et juste avant Bach qu’on écoute toujours, lui aussi, alors que le ciel cévenol se colore d’un bleu de plus en plus lumineux (rien à voir avec les azurs verts de Rimbaud, pour ceux qui lisent Le bateau ivre), j’écoute, enregistrées à Evreux pendant la manifestation de samedi contre le RN, les réactions d’un couple qui a voté et votera encore pour lui. La journaliste ne se contente pas de tendre le micro, elle interroge, pousse dans les retranchements.
En arrière-plan, les slogans de la manif, et, au premier, le discours, bourru, de l’homme qui n’est pas d’accord avec la manifestation qui ne respecte pas le suffrage universel. Si la liste de Macron était arrivée en tête, est-ce qu’il y aurait des manifestations ? Il a 62 ans, en retraite, touche une pension de 1400 euros et dit que les 1600 promis par le Nouveau Front Populaire ne sont pas possibles, que tout le monde le sait. Que, les Macron, Mélenchon, Bardella sont tous pareils. Alors, pourquoi voter pour le RN ? lui demande la journaliste. Il ne lui demande pas pourquoi elle pose la question, il doit le savoir, plus ou moins. Pour la contestation, bougonne-t-il. Son épouse, elle, dit qu’elle ne comprend pas ce qu’on reproche au RN, parce qu’il n’est plus le FN de J-M Le Pen.
Avant de passer à Bach, je prends le temps de me demander pourquoi les partis de gauche ne tiennent pas le discours adéquat qui répondrait par anticipation.
Et de me demander aussi si la réponse n’est pas contenue dans la question.
En d’autres termes, est ce que l’existence même du parti n’est pas le signe de cette limite ?
Parti, comme son nom l’indique, ne désigne pas un ensemble mais ce qui concerne une partie de, alors que le discours dont je parle concerne un universel.
Le latin, dont on (je ne dis pas « je » pour éviter d’être trop lourd) ne dira jamais assez qu’il faudrait l’enseigner et l’apprendre, comme le grec, nous dit que pars (= partie) est formé sur la racine du verbe parere qui signifie fournir… notamment ce qui revient à l’individu.
Le parti serait-il, par la fragmentation qu’il constitue et qui le constitue, l’expression politique du déni ordinaire du commun spécifique de notre espèce ?
Bach est très loin de tout ça. Enfin, quand je dis très loin, je parle des élections européennes passées puis législatives à venir, sinon il est très près de cette spécificité.
Un peu plus tard, un débat, sur France Culture et sur les élections passées et à venir. Très, très animé.
Et encore un peu plus tard, un autre débat, toujours sur France Culture, toujours sur les élections passées et à venir, mais à partir de la question de la vérité. Un des participants dit que la force du totalitarisme c’est le relativisme, qu’il n’y a pas de vrai et pas de faux. Et il évoque « L’intellectuel relativiste, anti-universaliste et qui accepte le principe de la foutaise ». Si j’avais été là, je lui aurais demandé quelle est la vérité de ce qui produit le chômage, la hausse des prix, la détérioration du service public, entre autres, et quelle conclusion il en tire.
Dans les deux cas, que ce soit pour le programme du Nouveau Front Populaire ou sa composition, rien ou presque rien sur l’essentiel de l’enjeu. Il est là, en filigrane, mais il n’est pas abordé. Comme si c’était déjà trop tard, acquis. Comme si c’était aussi ce que disent les 250000 manifestants d’hier, comparés au million et demi de mai 2002, quand la présence de J-M Le Pen au second tour de la présidentielle était encore invraisemblable.
Qu’est-ce qui ne permet pas aux partis de gauche d’expliquer que l’heure n’est pas au catalogue des promesses, mais à l’urgence de la sauvegarde du commun ?
Il faudrait parler du commun, dire comment il a été défini, comment ça n’a pas marché, ajouter qu’il faut le redéfinir… dire la vérité.